De Hélier Cisterne, on connaît le délicat travail en courts métrages, notamment Les Deux Vies du serpent et Sous la lame de l’épée. Son premier long, Vandal, ressemble à une version augmentée de ce dernier, soit une mythification de l’activité clandestine sur fond de ténèbres zébrées de graffitis. Du matériau originel, la singularité s’en trouve quelque peu diluée, mais l’élan du désir — formuler dans un contexte réaliste une pure fiction d’action marginale — demeure.
Le grand écart entre fiction ancrée dans le réel et fiction invoquant les fantasmes de récits romanesques devient plus flagrant en passant au long métrage. Le héros Chérif, un ado en délicatesse avec la loi, est comme pris entre le jour et la nuit. Envoyé chez son oncle à Strasbourg pour y trouver un stage de réinsertion à la suite d’une interpellation, il est initié par son cousin au monde clandestin des graffeurs, à leur art de la signature dans les ténèbres, aux rivalités entre bandes et individus adeptes de la discipline. Avec d’un côté la quête ouverte d’indépendance à travers le travail, l’expérience amoureuse, la réponse à l’héritage familial, et de l’autre la course secrète au même objectif par l’art graphique, l’apprivoisement de la topographie et des ombres, l’appartenance à un groupe (paradoxalement), Vandal donne l’impression de vouloir unir deux films en un.
La légende des graffeurs fantômes
Les deux versants du parcours initiatique sont assez habilement traités pour qu’on y croie et s’y intéresse, mais on sent Cisterne plus enclin à emprunter le second, en tout cas plus motivé à suivre les faits et gestes des graffeurs, gens de la marge nourris à un imaginaire qu’ils expriment dans la jungle urbaine en toute clandestinité. Il les enlumine de l’obscurité et des couleurs peintes dont la caméra fait mine d’imiter les mouvements, trousse autour d’eux un récit invoquant une simplicité de série B et une évidence iconique pour conter la chronique de leurs faits d’armes — à tel point qu’une scène d’électrocution semble sortie d’une BD représentant une colère céleste. Il en ressort que chacune de ces deux perspectives couplées par la seule habileté des scénaristes semble servir de béquille à l’autre (le réalisme censé offrir au conte un cadre concret, le conte une échappatoire au réalisme), ce qui fragilise un peu le tout. Pourtant, trait d’union entre les deux « mondes », le personnage de Chérif exprime une belle idée. Désamorçant les préjugés sociologiques que d’autres réalisateurs eussent pu laisser reposer sur lui, il apparaît avant tout comme un individu aspirant à l’invisibilité, à l’anonymat pour s’appartenir à soi-même. D’emblée, ses gestes dans ce but le rapprochent d’un état iconique : ainsi une capuche, trop souvent vue ailleurs comme un stigmate sociologique, est-elle rendue à sa fonction originelle, de couverture mais surtout de camouflage, tel l’accessoire d’un malandrin d’heroic fantasy. Paradoxalement, ce n’est pas par l’isolement qu’il atteindra son but, mais par l’infiltration : dans tel ou tel groupe, dans la jungle urbaine, dans la légende d’un autre.
Le film, sur les traces de ce personnage, cherche à se faire récit de légende. Il est un peu ralenti sur ce chemin par quelques contraintes de conventions narratives (le lien avec cette perspective réaliste un peu balisée), mais son effort reste méritoire par la sympathie évidente pour cette culture qu’il héroïse. Au passage, il n’est pas interdit, en voyant Vandal, de penser aux Guerriers de la nuit de Walter Hill, qui mythifiait lui aussi la jungle urbaine, pour sa part les gangs des rues de New York. Mais ce film-là — qui osait, lui, la pure fiction en des lieux cependant réels — avait une autre conscience de la géographie du territoire qu’il réinvestissait, horizontale, jouant des réelles limites entre quartiers et de la distance que leur franchissement impliquait. Vandal, lui, cartographie moins son territoire (Strasbourg), au risque de rendre cette géographie moins prégnante, préférant y ménager ce terrain de jeu non nommé, mais signé de tags, que ses personnages sont libres d’arpenter dans ses recoins secrets et ses hauteurs enivrantes.