Du 27 mars au 6 avril au Ciné 104 à Pantin, le festival Côté Court prend le pouls d’un pan important de la création cinématographique. Autour des compétitions fictions et expérimental-essai-art vidéo, la programmation permet, à travers plusieurs horizons et plusieurs formes, un large point de vue sur le court métrage et ses enjeux actuels.
Du « fait main » à la Fémis, c’est avant tout le rapport au scénario qui se fait la crête divisant le jeune cinéma. D’un côté, versant paisible et balisé de la montagne, les films assis sur une histoire avant tout écrite, construite sur un cycle ou une culmination. En poussant un peu c’est le film à chute, avec la cabriole en conclusion, indispensable, primordiale, quelle que soit la forme. L’autre côté, plus glissant, moins rond, s’ouvre sur des films qui partent de leur scénario pour finir sur une ouverture, un champ de vision large et préparé par une forme libérée du scénario. Des films parfois maladroits, mais aussi souvent plus riches. Et sur la crête, à cheval, plus ou moins bien assis, quelques œuvres qui joignent ces deux pôles.
Comme le rappelait Jacky Evrard, le directeur artistique de Côté Court, la porosité entre fiction et expérimental s’accentue et se retrouvait dans les programmations des compétitions fiction et expérimentale. Certains films ne peuvent se classer qu’assez subjectivement dans l’une ou l’autre de ces catégories. C’est le signe d’une création riche et c’est ce qui fait un des attraits du festival de Pantin : la diversité, la possibilité de passer d’une œuvre plutôt naturaliste à des dispositifs davantage tournés vers l’exposition que vers la salle de cinéma, en faisant un détour par un peu de fantastique. Côté Court n’est pas un festival qui se laisse enfermer dans un seul type de film, à la limite par une durée, et encore puisque de onze à cinquante minutes, l’espace est large. D’où l’intérêt de se laisser bercer par la météo variable de la programmation.
Du côté du scénario à chute, donc, des films comme Le Plongeon de Philippe Deschamps, Messages à Christine de Patrick Viret ou Hier encore de Rima Samman. Toujours très appuyé sur son scénario mais aussi tourné vers des principes forts de mise en images, on pourra citer l’intéressant Mon ami, tout va à la décharge, de et avec Yvonne Kerouedan, dont les personnages et les tons d’images fluctuent entre mise en lumière de studio et un univers «caraxien». D’autres semblent aussi sur une frontière, comme L’Écluse, d’Olivier Ciechelski dont l’intérêt n’est pas le cadavre amené par le canal mais plutôt l’agitation vaine des personnages qu’il appelle. Le temps qui ronge n’y est pas révélé par les dialogues mais véritablement par ces enchaînements de plans où les matières se confrontent aux forces des éléments. Dans Home, prix de la presse, la force repose cette fois sur un texte et la vie qui lui est donnée par le fantastique Alain Libolt. Le réalisateur Patric Chiha y met en scène un personnage qui embarque son jeune collègue dans le doux labyrinthe d’une forêt et de sa mémoire. Autre film primé, le très beau Les Deux Vies du serpent d’Hélier Cisterne, trouve sa force dans le jeu de l’étirement du temps et de l’ellipse. Ce qui ressemblerait sur le papier à la mutation qu’est l’adolescence, n’oppose finalement pas l’enfance à l’âge adulte. L’acteur Vincent Rottiers, hagard, ne franchit pas un cap, il est double. Il représente aussi une génération de jeunes (dans le film ceux, entre autres, qui campent près des cascadeurs), mutins, ni véritables rebelles ni résignés, plutôt l’air de fantômes, presque à prendre la vie pour une salle d’attente. Ils empruntent plutôt que possèdent les paysages qui les entourent et la caméra filme leur errance avec une distance formelle qui les écrase souvent.
S’éloignant plus loin du scénario, on retrouve aussi beaucoup de films intrigants, porteurs de regards originaux. Violante, de Nadim Tabet, adaptation libre d’une nouvelle de Marcel Proust, joue sur l’idée du film d’époque en reprenant certains codes du cinéma muet. Twist, d’Alexia Walther, se fait l’histoire quasi muette du twist, écrite avec des mouvements de jambes. Le plus intéressant de cette catégorisation, Pétunia et naphtaline, a reçu le prix spécial du jury. S’ouvrant – de mémoire – sur un surprenant enchaînement de plans de pétunias, le film de Franck Vialle se compose de scènes de familles aux tendances surréelles. Un retour sur l’adolescence qui pourrait faire dans cette programmation l’objet d’une autre catégorisation, cette fois par sujet puisqu’on retrouve souvent le thème de la première fois et de l’initiation (amoureuse et/ou sexuelle) à lier aussi au passage à l’age adulte.
Pour finir ce parcours dans la fiction, deux films qui ne peuvent laisser la presse indifférente, d’abord parce que leurs auteurs sont liés à la critique, ensuite parce que ces deux films possèdent une force très personnelle. Le premier, troisième de la série (Cinéphiles 3 (Les Ruses de Frédéric)), de Louis Skorecki, reprend la vie et le monde par et pour le cinéma. Joutes verbales en forme de listes de noms de critiques et de réalisateurs, propagandes « cynicomiques » de points de vues, mises en scènes clins d’œil… Si Skorecki comme ses personnages parlent d’abord aux cinéphiles, c’est avec un humour salvateur. Le second, d’abord critique aux Cahiers du cinéma, est un des auteurs français les plus singuliers : Luc Moullet. Le Litre de lait produit une mise en scène radicale des sentiments puisque Moullet fait passer à la fois la peur dans le jeu du personnage de Gilles (sa lenteur dramatiquement excessive pour aller chez la laitière), dans les cadrages et un montage riches en codes et en humour. Le Litre de lait a obtenu la mention très spéciale du jury presse, digne représentant d’un cinéma moins jeune, mais pas moins dynamique. C’est également une des qualités de Côté Court : permettre aux différentes générations de cinéastes et de publics de dialoguer et de se croiser, comme une alternance de champs-contrechamps avant une rencontre en plan d’ensemble au Ciné 104 de Pantin.