Dans l’ouverture de Women Talking, les premières lueurs de l’aube révèlent des taches de sang sur le lit d’une jeune femme, ainsi que des hématomes sur ses jambes. Elle n’est pas la seule dans ce cas : d’autres membres d’une petite colonie mennonite (communauté religieuse refusant la technologie et vivant d’activités agricoles) portent régulièrement des marques similaires. Lorsqu’elles découvrent que les hommes de la colonie leur administrent à leur insu des sédatifs pour pouvoir les violer impunément, plusieurs femmes se réunissent pour débattre des deux seules options qui semblent s’offrir à elles. Puisque rester les bras croisés est désormais hors de question, elles peuvent au choix combattre, quitte à aller contre leurs convictions pacifiques, ou bien partir. Adapté de faits réels, Women Talking trace assez nettement un parallèle entre cette intrigue et les révélations du mouvement #MeToo (dont la réalisatrice Sarah Polley a été l’une des nombreuses protagonistes, en dévoilant dans le New York Times les avances et le chantage insidieux qu’elle a reçus de la part d’Harvey Weinstein). Le microcosme de la communauté religieuse, où le silence est imposé par la bigoterie des hommes au pouvoir, brosse ainsi une allégorie idéale des mouvements de libération de la parole féminine, tandis que la grange abritant le conciliabule permet de rejouer les débats publics engendrés par #MeToo, qu’il s’agisse de la dénonciation de la culpabilisation des victimes ou de la dimension systémique de la culture du viol.
Des agressions, Sarah Polley ne montre que les traces laissées au matin et écarte les hommes à la marge du cadre, épousant le point de vue des femmes de la colonie pour filmer l’éclosion de leur parole tue. Le film souligne régulièrement leur détresse, au risque de cultiver assez lourdement une iconographie de l’innocence perdue : les images d’Épinal de la campagne (les enfants jouant dans les champs, des intérieurs surannés traversés de rayons de soleil, etc.) contrastent avec un étalonnage désaturé à la limite du noir et blanc qui retranscrit de façon caricaturale le marasme ambiant. La mise en scène souffre ainsi d’une certaine littéralité, par exemple dans sa manière d’accompagner systématiquement les témoignages d’illustrations redondantes (notamment un flashback sensationnaliste qui montre l’une des victimes étaler son sang sur les murs de sa chambre). Pavé de bonnes intentions, le film n’échappe pas au piège du didactisme, souffrant de son horizon très balisé : le groupe de femmes semble voué à s’unir pour faire symbole, alors que leurs échanges s’astreignent à reproduire – d’une façon parfois trop explicite – une série d’expressions et de réflexions tristement d’actualité. Si l’on comprend son envie de répéter haut et fort certains principes élémentaires, Women Talking se trouve rapidement étouffé par le poids de son sujet.