Réalisateur de Mille mois (2003), coscénariste de Loin de Téchiné, le Marocain Faouzi Bensaïdi s’éloigne avec son second long métrage du sentier des films sociaux maghrébins à vocation humaniste, pour flirter avec le film de genre. Néanmoins, derrière son affectation de légèreté, WWW : What a Wonderful World se veut un film extrêmement sérieux, traitant de l’irruption de la world culture dans une société encore marquée par la tradition, et du manque de communication qui paradoxalement règne dans ce village global. Dans une Casablanca devenue annexe du « village planétaire », il met en scène un tueur à gages mélancolique – qu’il joue lui-même – qui reçoit ses contrats par l’Internet, une agent de police qui vend du temps de communication par mobile pour arrondir ses fins de mois, une prostituée occasionnelle, un jeune hacker informatique qui rêve d’Europe… Autant de personnages souvent étrangers l’un à l’autre, mais peuvent pourtant se croiser dans la rue, se parler au téléphone, voire se plaire mutuellement. Telle la femme-flic qui tombe amoureux d’un beau ténébreux – le tueur – entrevu à un arrêt de bus, tandis qu’elle envoie paître le même homme quand il lui déclare sa flamme au téléphone sous le couvert de l’anonymat.
C’est l’incommunicabilité selon Bensaïdi, qui, en plus de la mécanique scénaristique – bien réglée – qui règle ces chassés-croisés, choisit hélas d’illustrer lourdement sa thématique en assemblant tout ce monde au sein d’images à la sophistication un peu vide, courant avec un souffle court après la maîtrise d’un Antonioni qui a bon dos. Alors il cadre ostensiblement deux personnages proches mais séparés par une frontière physique (balcon, interstice d’ascenseur), ou élabore des plans-séquences fédérateurs qui semblent vouloir refaire grossièrement le finale de Profession : reporter – ne pas manquer les allers-retours de travelling le long d’un train, qui disent toute la naïveté un peu puérile de la démarche. Ces idées visuelles criardes ne mettent malheureusement en avant que leur aspect graphique en lieu et place des idées qu’elles sont censées exprimer.
« Diversité des images »
Pour signifier le capharnaüm culturel qui est le nôtre – et accessoirement tenter d’instiller un peu de fantaisie en empruntant celle des autres – Bensaïdi appelle à lui une multitude de références cinématographiques qu’il ressert ici et là, poussivement et sans aucun recul. On retrouve pêle-mêle du Tati, du Keaton, du Melville, du dessin animé et même du jeu vidéo à gros pixels. Ce melting-pot audiovisuel n’est pas nouveau : Kill Bill de Tarantino est déjà passé par là. Mais quand l’Américain ne semble pas chercher autre chose que le plaisir immédiat du revival multiple, le Marocain voudrait nous dire que ses références à lui s’inscrivent dans une réflexion sur la diversité des images. Or il est tellement affairé à décalquer ses sources que sa démonstration ne convainc pas.
Tout ce travail formel a l’ultime défaut de se croire intelligent et inspiré, alors qu’il n’est jamais que vulgaire et tautologique, et surtout que sa propre virtuosité prend le pas sur ce qu’elle est censée véhiculer. Le comble est atteint dans une des dernières scènes : traitant son seul fil narratif où le comique est absent – qui plus est basé sur un sujet terriblement actuel – Bensaïdi en expédie la conclusion tragique en un plan de confrontation inégale dont l’esthétique rappelle désagréablement un cartoon de la Warner… C’est le point de non-retour, le moment où l’auteur de cette expérience boursouflée montre à quel point il manque de vrai point de vue et de sensibilité vis-à-vis de son sujet. Au bout du compte, l’ironie fait que WWW ne communique plus rien, si ce n’est une profonde antipathie.