Dans un français charmant, mâtiné d’accent italien, le comédien Kim Rossi Stuart nous parle avec passion de son premier film en tant que réalisateur, Libero, nouveau bijou de la cinématographie italienne. Et nous laisse autant fascinée par sa grande sincérité que par ses yeux bleus. Un cinéaste à suivre.
Vous avez commencé votre carrière dans La Grande Bourgeoise de Bolognini, à l’âge de trois ans, puis vous l’avez poursuivie sans discontinuer à partir de quinze ans. Est-ce que le cinéma a toujours été une évidence pour vous ?
Quand j’ai fait le film avec Bolognini, j’étais vraiment très petit. Mon père était à la fin de sa carrière d’acteur. Ils avaient besoin d’un petit enfant pour mettre dans les bras de Catherine Deneuve. Ce n’était pas vraiment les débuts de ma carrière. J’ai véritablement commencé vers 13 ans, presque par hasard, parce qu’un assistant réalisateur m’a demandé si je voulais faire un test. En fait, l’école ne m’intéressait pas trop. Je pensais que c’était mieux d’apprendre les choses dans la vie, directement dans le travail. C’est pour cela que j’ai commencé à travailler, en étudiant le théâtre.
Vos premiers grands rôles étaient dans des films commerciaux, qui vous ont rendu célèbre auprès du grand public en Italie. Puis, vous avez commencé à travailler avec des réalisateurs plus difficiles, comme Antonioni et Par-delà les nuages. Pourquoi ce tournant ?
Au début, ma principale inquiétude était de gagner suffisamment d’argent pour vivre, et cela m’a amené à faire tout ce qu’il était possible de faire. Pour moi, tout pouvait se révéler être une bonne expérience. Une fois que j’ai été plus tranquille, que j’ai eu de l’argent, je me suis dit que je pouvais essayer de faire des choses plus importantes pour moi, plus urgentes créativement parlant. À un moment donné, j’étais fatigué de faire ces films pour la télévision, que je n’aimais pas beaucoup.
Qu’est ce qui vous a donné envie de passer derrière la caméra ?
L’envie de le faire, le désir de passer à la réalisation est arrivé très tôt. Déjà à dix-sept ans, je commençais à écrire des scénarios, à construire économiquement le projet. Évidemment, c’était trop difficile de trouver l’argent à cette époque, pour monter un film. Mais le désir a toujours été là pour moi.
D’où vous est venue l’idée de Libero ?
Pour moi, il y a un âge – onze, douze ans – où il faut prendre notre vie sur notre épaule, et commencer à être autonome. Et à ce moment-là, il vous arrive des choses qui vont conditionner toute votre vie : c’est un thème évident, qui parle à tout le monde.
Votre film a été présenté à la Quinzaine des réalisateurs. Comment l’avez-vous vécu, sachant qu’il s’agissait de votre tout premier film en tant que réalisateur ?
La vérité, c’est que c’était très important pour la carrière du film, et c’est une expérience que j’ai vécue comme une espèce d’euphorie. À la fin de la projection à Cannes, pendant les cinq premières minutes d’applaudissements, je suis resté un peu timide, je croyais que l’on voulait seulement me faire plaisir, mais quand j’ai vu que les applaudissements continuaient, j’ai compris que c’était vraiment sincère, et alors j’ai ressenti une grande émotion.
Cette expérience vous donne-t-elle envie de continuer ? Quels sont vos projets ?
Je vais d’abord faire un film en tant que comédien, mais j’attends avec impatience le moment de pouvoir réfléchir sur mon nouveau film, car c’est peut-être le moment le plus plaisant : celui où on peut s’enfermer dans son studio, passer des journées sans rien faire, seulement réfléchir et imaginer des histoires. Ça, c’est magnifique.
Qu’est ce qui vous plaît le plus, votre travail derrière ou devant la caméra ?
Le mieux c’est pouvoir passer de l’un à l’autre, changer. La condition de metteur en scène est une condition pleine de responsabilités, et pour le faire, il faut aimer cette condition. Mais j’aime aussi la condition de comédien, qui est très confortable, car toute l’équipe est aux petits soins de l’acteur. C’est très agréable.
Vous tenez l’un des rôles principaux dans le film, n’était-ce pas difficile pour un premier film, de travailler à la fois devant et derrière la caméra ?
Au début, j’ai pensé que ce n’était pas possible. Je ne voulais pas jouer dans le film, c’était l’une de mes conditions posées au producteur. Mais quand le comédien que j’ai choisi a disparu deux semaines avant le tournage, ça a posé beaucoup de problèmes ; j’étais obligé de faire le rôle car on n’avait pas le temps d’en trouver un autre. Évidemment, pour moi, c’était plus lourd, plus fatigant, mais ça me donnait la chance d’incarner une figure paternelle. J’ai perdu mon père il y a longtemps, et ça me faisait du bien. Dans un certain sens, Libero est un peu autobiographique : je n’avais pas le temps de construire un personnage, et j’ai voulu jouer un personnage que je connaissais bien.
Deux des personnages sont des enfants. Comment avez-vous travaillé avec eux ?
Une fois que la route est préparée pour l’enfant, qu’il n’a pas de responsabilités excessives, comme apprendre des répliques entières de mémoire, c’est très facile. Je n’ai jamais voulu que le comédien principal (qui joue le rôle de Tommi, NDLR) lise le scénario. Une fois que l’enfant a compris la situation, c’est facile pour lui de jouer. Mais, du même coup, il faut qu’il se reconnaisse dans le personnage.
Comment avez-vous trouvé l’enfant qui joue Tommi ?
J’ai refusé de le chercher dans une agence de comédiens. Je voulais quelqu’un qui n’ait pas l’expérience du cinéma. J’ai fait toutes les écoles de Rome, j’ai vu des milliers d’enfants, et lui était là caché parmi les autres : il n’aimait pas être au centre de l’attention, ce qui le rendait très proche du personnage. J’ai compris qu’il était important pour lui de sortir tout ce qu’il avait en lui.
Est-ce qu’il y a eu des scènes difficiles à tourner ?
Oui, car il y a des scènes difficiles émotionnellement. Et quand il y a quatre personnages, deux enfants et deux adultes qui doivent arriver à cette émotion, il faut bien la préparer. Mais je pense toujours que le plus grand travail réside dans la préparation des scènes. Une fois que la route est préparée, on tourne immédiatement.
C’était un tournage plaisant ?
Je pense qu’il est difficile de trouver un metteur en scène qui trouve le tournage de son film plaisant. Faire un film c’est un peu comme être dans une bataille. Il y a de nombreux problèmes qui émergent, on ne peut pas se détendre. Le dimanche et la nuit servent à régler les problèmes. Pour être metteur en scène, il faut aimer cette fatigue. Et j’ai découvert sur le tournage de Libero que ça me plaisait vraiment.
Vous avez été comédien pour des réalisateurs très différents – Antonioni, Wim Wenders, Gianno Amelio, Bolognini… Est-ce que leur travail vous a influencé ?
Il y a toujours quelque chose à prendre chez les autres : chaque metteur en scène peut vous donner quelque chose. J’ai toujours travaillé comme comédien avec l’idée de voler quelque chose au metteur en scène. Pour prendre l’exemple de Gianno Amelio (Les Clefs de la maison, NDLR), je me suis toujours senti très proche de son univers : très simple, très proche de l’optique humaine. Il est vrai que je n’aime pas trop les films artificiels, qui ne semblent pas naturels.
On a beaucoup parlé de l’influence du néoréalisme dans Libero. Quel est votre sentiment par rapport à cette comparaison ?
Je me sens très proche du néoréalisme, c’est un mouvement que j’ai toujours beaucoup admiré. Les sujets qui m’intéressent n’impliquent pas des gens riches, mais plutôt ceux qui ont des difficultés économiques. C’est aussi pour cela que cette comparaison me paraît juste.
On disait le cinéma italien moribond depuis les années 1980. Assiste-t-on à votre avis à un renouveau aujourd’hui, avec des films comme Buongiorno, Notte, Romanzo Criminale, Respiro ?
J’espère tout le bien possible pour le cinéma italien. Je suis d’accord, il y a eu beaucoup de films intéressants ces dernières années. Notre industrie est très faible, on ne produit pas beaucoup de films, mais le pourcentage de films intéressants est très élevé. Mais le problème du cinéma italien est celui de toute la cinématographie occidentale, qui a du mal à trouver des idées, des histoires à raconter. En cela, la cinématographie asiatique est bien meilleure.
Comment a été reçu le film en Italie ?
Il y a une très belle aura autour du film. Le succès à Cannes a joué un rôle important. La presse était magnifique. Surtout, j’ai beaucoup rencontré le public après les projections, et ce qui m’a frappé, c’est que de nombreuses personnes ont reconnu leur propre vie dans le film.
Qu’attendez-vous de la sortie de Libero en France ?
De l’émotion, mais je n’ai pas beaucoup d’attentes. Je vois les choses comme elles viennent, et je suis toujours optimiste.