Deux ans après Le Sourire de ma mère, Marco Bellocchio nous prouve une fois de plus que le cinéma italien n’est pas complètement mort, tout en étant capable de se détacher de la mainmise de Silvio Berlusconi. Son nouveau long-métrage, Buongiorno, Notte est une réflexion passionnante teintée de mélancolie sur l’engagement terroriste.
En ce début d’année 1978, un faux jeune couple italien s’est installé dans un nouvel appartement qui leur servira en fait de siège pour leur organisation terroriste, les Brigades Rouges. Aldo Moro, chef de file de la Démocratie Chrétienne, est enlevé lors d’un attentat particulièrement sanglant puis séquestré dans une petite pièce aveugle attenante à l’appartement. Dès lors, le film se transforme en un huis clos oppressant et fascinant durant lequel Chiara, seule femme du groupe de révolutionnaires, va se laisser happer par le doute et la culpabilité. Il faut dire que la jeune femme a toutes les raisons de souffrir de cet isolement physique et idéologique. Seule intégrée au monde extérieur durant la prise d’otage, elle est le seul témoin de l’indignation de la population italienne qui refuse de comprendre le sens d’une telle manœuvre. Elle se questionne alors sur le sens de ces actes violents revendicatifs qui ne pourraient servir qu’eux-mêmes, s’inscrivant dans une autre réalité trop schématique de l’Italie: l’opposition radicale entre petits prolétaires et grands bourgeois. Ces images de policiers sacrifiés et froidement abattus, martelées par les médias, lui apportent peu à peu le contre-point de vue d’une opinion publique qui se refuse à les glorifier dans leur mouvement contestataire. Et puis la séduction s’en mêle; Chiara, jeune et jolie, est approchée par un de ses collègues de travail auquel elle n’est pas insensible quoi qu’elle en dise. Mais, il y a trop de mensonges sur sa propre vie et sur son quotidien, des parents morts qui ne lui donnent plus aucune attache, pas d’autres amis que des terroristes, des voisines qu’elle tient à distance par crainte d’être découverte. La porte d’entrée de l’appartement ainsi que le petit jardin représentent cette frontière qu’elle est seule autorisée à pouvoir franchir, jouant ainsi de sa double vie auprès de ses voisins comme de ses complices. La tentation est là et elle est grande. Du coup, Marco Bellocchio insuffle à son propos un condensé d’onirisme qui se retrouve en parfaite adéquation avec son thème moteur, la quête d’une représentation physique d’un idéal qui se meurt dès qu’on le touche. Les motivations de Chiara se transforment et son obsession se porte dès lors vers la libération d’Aldo Moro sans trahir ses compagnons de combat. Toute l’ambivalence de l’investissement est là: comment s’investir dans une mouvance idéologique tout en respectant son individualité?
Marco Bellocchio s’interroge avec intelligence sur les dérives gauchistes en inadéquation avec la réalité et qui tendent finalement à servir paradoxalement l’image du patronat. Son propos, volontaire et engagé, sait saisir toute l’ambiguïté de la situation tout en évitant la rhétorique purement mécanique et l’étude psychologique. Ce point fort peut aussi en être sa faiblesse. En effet, il est parfois difficile de savoir où se situe le réalisateur, entre dénonciation du terrorisme et nostalgie évidente d’un idéal communiste depuis longtemps bafoué par les vérités historiques. Ainsi, l’une des plus belles scènes du film n’est-elle pas cette réunion champêtre où une tablée, toutes générations confondues, entame avec foi un chant révolutionnaire? Donc, Bellocchio hésite, c’est une certitude, mais c’est en même temps ce qui confère à son film un doux parfum de vérité, une représentation touchante de l’âme humaine entre ses combats idéologiques, sa volonté de faire progresser la pensée, tout en regrettant parfois ses formes passées. Sa mise en scène, d’une efficacité redoutable, servie par des images d’archives particulièrement prenantes et une bande son riche et soignée, laisse espérer que le cinéma italien n’est pas confiné à se fondre dans le despotisme culturel de Silvio Berlusconi, comme l’ont fait Gabriele Muccino et Roberto Benigni, et qu’il existe d’autres alliés à la cause politico-cinématographique de Nanni Morretti.