Prix du Jury au dernier Festival de Cannes dans la section « Un Certain Regard », ce film (alors sous le titre Force majeure) a fait parler de lui dans le circuit des festivals. À tel point que le Festival d’Angers a rendu hommage cette année à son réalisateur, le cinéaste et scénariste suédois, Ruben Östlund, dont c’est le quatrième long métrage. Il avait déjà été présent en 2008 à Cannes pour Involuntary et en 2011 à la Quinzaine des réalisateurs pour Play. Son utilisation particulière de la caméra HD et des ordinateurs via un travail de « reconstruction numérique » de certains décors pendant la post-production a donné naissance au mouvement de « l’école de Göteborg ». Snow Therapy en est l’une des illustrations.
Avalanche
Un couple suédois, Tomas et Ebba, part skier dans les Alpes avec leurs deux enfants afin de passer du temps ensemble. La neige est bonne, l’ambiance aussi. Jusqu’au moment où, attablés à une terrasse, ils sont menacés par une avalanche. Le mari déclare avec aplomb qu’il s’agit d’une « avalanche contrôlée », de celles qui sont déclenchées exprès pour éviter qu’elles ne se produisent de façon spontanée. Mais lorsque le déferlement s’approche et que le danger devient réel, le père prend ses jambes à son cou abandonnant femme et enfants tandis que la mère cherche à tout prix à protéger les siens. Après l’incident, malgré les regards réprobateurs de sa famille, Tomas ne reconnaît pas ses torts et passe l’affaire sous silence. Mais les langues ne tardent pas à se délier et de fortes tensions émergent.
Détaillant chaque journée de nos vacanciers, le délitement progressif du couple se fait sur fond de tire-fesses, télésièges et poudreuse dans une atmosphère à la fois grandiose et inquiétante. Le réalisateur a fait ses gammes en tournant des films de ski ; il est donc tout à fait dans son élément comme le prouvent les superbes plans à flanc de montagne, les longs plans-séquences où les personnages dévalent les pistes dans un silence paisible et serein. Tout ceci filmé avec du matériel spécial (des objectifs anamorphiques entre autres), certaines scènes retouchées à la post-production sans que cela se ressente au visionnage du film. Au fil des jours, le soleil éclatant laisse place à un brouillard dans lequel s’enfoncent les personnages. L’engrenage dans lequel ils sont pris n’est pas sans rappeler les canevas récurrents des films du réalisateur iranien Asghar Farhadi, qui mettent en scène des personnages face à l’ambivalence de la vérité d’un événement précis faisant basculer leur vie. Mais Östlund n’en fait pas une mécanique bien huilée, maîtrisée et dévastatrice mais une fissure qui ne cesse de s’amplifier et qui fait éclater les sentiments des personnages, accompagnée d’une forme de légèreté grinçante qui empêche le film de sombrer dans les tréfonds mélodramatiques de son confrère iranien.
Le film fait partie de ceux auxquels on s’identifie terriblement, et ce à plusieurs niveaux : les accrochages puis les disputes qui s’intensifient, la tristesse des enfants qui subissent les tensions entre leurs parents et surtout l’instinct de survie qui nous fait réagir dans certaines situations de danger d’une façon ou d’une autre sans qu’on puisse en aucune façon le prévoir. Afin d’accentuer ce processus d’identification, le scénariste-réalisateur a la bonne idée d’incorporer un deuxième couple, amis de la famille, eux-mêmes en position de spectateur, reflétant nos propres réactions et interrogations tout le long du film et apportant un contrepoint comique bienvenu.
Patriarcat
Par le biais de ce récit, Östlund dresse surtout un portrait sociologique de la famille moderne et notamment de la place du patriarche. Chaque membre de la famille a son rôle et s’il y déroge, l’équilibre familial en est alors automatiquement perturbé. Le schéma familial est classique : le père est un cadre qui travaille trop, la mère semble être au foyer, ils partent au ski (les vacances typiques de la classe moyenne) afin que le père leur consacre un peu de son temps. En cas de danger, c’est donc lui qui est tenu de se comporter en héros et s’il a le malheur de manquer à ses devoirs, il risque l’ostracisme. Les conventions sociales et les idées préconçues de la virilité et de l’héroïsme (que le cinéma colporte souvent lui-même) sont très habilement remises en question à travers ce petit incident à grande portée psychologique.
La finesse du scénario repose également sur le juste dosage entre le comique et le tragique à travers une écriture subtile, un bon sens du timing porté par d’excellents comédiens (le réalisateur est friand de l’interruption brutale d’une scène afin de créer un effet comique suite à la réaction d’un des personnages) et l’ambivalence de certaines scènes auxquelles on ne sait comment réagir. Seul bémol : Östlund semble parfois s’acharner vis-à-vis du personnage de Tomas, le campant à plusieurs reprises dans certaines situations plus qu’humiliantes qui, si elles suscitent le plus souvent le rire, ne semblent qu’accentuer un peu trop lourdement sa déchéance (scène de drague vexante, craquage en public). À l’inverse, lorsqu’il s’agit de la rédemption finale du personnage, celle-ci est un peu expédiée, résolue en deux temps trois mouvements par deux séquences qui tout à tour le raillent et relativisent sa couardise tout en le réhabilitant. Tel un tableau de Friedrich, l’homme semble petit face à l’immensité de la nature. Il a beau crier, comme le fait Tomas, il sera toujours dominé par elle.