C’est en 2006, soit quarante-cinq ans après sa sortie initiale aux États-Unis, que nous avons pu découvrir en France Blast of Silence, sous le titre de Baby Boy Frankie, lors d’une ressortie en salles plutôt confidentielle. Le méconnu premier film d’Allen Baron sort ces jours-ci en DVD chez MK2, accompagné d’un documentaire qui permet de réévaluer ce film, qui fait désormais partie de l’Histoire du cinéma au rayon « chef-d’œuvre injustement oublié ».
Quand il se lance dans la production de Blast of Silence en 1959, Allen Baron n’est alors qu’un jeune dessinateur qui a décidé de mettre en scène son premier long-métrage, d’après un scénario qu’il a lui-même écrit. Il s’attache à suivre le parcours de Frankie Bono, tueur à gages solitaire et taciturne, dont la mission est de se rendre à New York pour y éliminer un caïd local arrogant nommé Troiano. Une des particularités du film réside dans son utilisation omniprésente de la voix-off (en réalité celle de l’acteur Lionel Stander, non crédité au générique pour des raisons d’économies sur le budget), qui a pour effet de créer un rapport étrange entre ce personnage a priori antipathique de tueur et le spectateur, en ce que celui-ci va pouvoir suivre son parcours de l’intérieur, et peu à peu s’attacher à ce jeune homme (« baby boy », répète inlassablement la voix-off), qui en devient une métaphore de la solitude à lui tout seul, solitude accentuée par l’esprit de fête qui se dégage des rues de New York où tous s’apprêtent à fêter Noël et la nouvelle année.
En plus d’écrire et réaliser le film, Baron va également incarner Frankie Bono. Le rôle lui revint naturellement, après que Peter Falk, alors débutant, et qui avait dans un premier temps donné son accord, se désiste afin de rejoindre le casting de Murder Inc., qui lança véritablement sa carrière.
Malgré de très bonnes critiques à sa sortie, le film ne connut pas un grand succès, probablement en raison d’une distribution confidentielle sur le territoire américain, et Baron, que la presse londonienne considéra un temps comme « le nouvel Orson Welles », ne réalisa qu’un deuxième film, Terror in the City, avant de partir pour Hollywood, où il devint réalisateur pour la télévision. Il y signa bon nombre d’épisodes pour des séries à succès telles que Drôles de dames, La croisière s’amuse, ou autres Shériff, fais-moi peur.
Il lui a fallu attendre l’année 2000, pour que le festival du film de Munich, fasse (re)découvrir aux cinéphiles de tous horizons son Blast of Silence au destin injustement silencieux. Tourné dans la foulée de ce festival, le documentaire Allen lebt hier nicht mehr de Wilfried Reichart, que Robert Fischer reprit en 2006 pour y ajouter des interviews récentes de Baron (c’est cette version qu’on trouve dans les bonus du DVD édité par MK2, sous le titre de Requiem for a Killer), permit à Baron de retrouver les lieux du tournage à New York, ainsi que ceux de son enfance passée à Brooklyn. Comme lui, la ville a depuis énormément changé : le village de pêcheur de la scène finale, où Bono trouve la mort, a tout bonnement disparu, laissant place à un terrain vague, et le mythique restaurant Downey’s, que tous les artistes fréquentaient alors, et où Baron fit la rencontre des producteurs de son film, a depuis fermé ses portes.
Un des plus grands admirateurs de ce film est Martin Scorsese, qui y voit là « one of [his] favourite New York films ». On peut s’amuser en effet à déceler dans Blast of Silence des éléments qu’on retrouvera plus tard dans l’œuvre de Scorsese : la musique y est omniprésente, (on l’entend, mais on la voit aussi jouée à l’écran par des musiciens, ce que Scorsese s’attachera à faire avec New York, New York, The Last Waltz, ou encore No Direction Home) ; le film épouse le point de vue du tueur, et permet l’identification avec celui-ci, thématique que Scorsese mettra en place dès Mean Streets, et ce jusqu’à Goodfellas ou Casino ; une difficile histoire d’amour, liée au besoin de rédemption qui n’offre au héros condamné que la mort comme échappatoire ; le traitement réaliste de la violence ; et enfin les déambulations dans la ville de New York, qu’on ne manquera pas de rapprocher à celles de Taxi Driver, qui partage avec le film de Baron la même utilisation de la voix-off. Dernier point commun, encore plus troublant celui-ci : la ressemblance physique frappante entre Allen Baron et l’alter-ego de Scorsese à l’écran, Robert De Niro.
Lors d’une interview datant de 2006, Baron se souvient avoir manqué de peu une présentation de son film au festival de Cannes de 1961, les bobines étant arrivées avec deux semaines de retard, trop tard pour que son film soit retenu dans la sélection. On peut imaginer que grâce à l’éclairage médiatique cannois, Blast of Silence aurait pu connaître un tout autre destin, et Baron une autre carrière, qui lui aurait peut-être donné la possibilité de tourner le projet qui lui tenait à cœur à l’époque. Intitulé Sound of Silence, ce film aux ambitions plutôt expérimentales lui aurait permis de revisiter une nouvelle fois l’univers de Frankie Bono, en y mêlant cette fois des éléments de sa vie personnelle. Baron, qui partageait alors plus d’un point commun avec le Godard d’À bout de souffle, tant au niveau de la thématique du tueur dans la ville que de l’énergie dans la façon de filmer, aurait pu devenir un des fers de lance de la nouvelle vague new-yorkaise, et trouver logiquement sa place aux côtés de cinéastes tels que Cassavetes, qui venait parallèlement de signer son premier long-métrage, Shadows.