La collection Les Films de ma Vie continue son exploration de l’univers de Marco Ferreri en proposant deux nouveaux inédits du cinéaste italien : L’Audience et La Chair.
En l’espace d’un an, ce ne sont pas moins de neuf films de Marco Ferreri qui ont eu l’honneur d’une sortie en DVD en France : Touche pas à la femme blanche, La Grande Bouffe, Dillinger est mort, Contes de la folie ordinaire, d’après le recueil de nouvelles de Bukowski, ainsi qu’un coffret regroupant Pipicacadodo, La Petite Voiture et La Semence de l’homme. Le dernier coffret en date propose La Chair et L’Audience.
L’Audience, sorti en 1971, est un délire kafkaïen (les personnages du film en ont eux-mêmes conscience), une sorte d’adaptation du Procès, qui trouve pour cadre le Vatican, avec dans le rôle de K, un certain Amedeo (Enzo Jannacci), qui n’a qu’une idée en tête : obtenir une audience privée avec le Pape, auquel il a d’importantes révélations à faire, révélations que nous ne saurons jamais. Après avoir essayé par tous les moyens (que ce soit en force, ou en essayant de faire jouer ses relations), le pauvre Amedeo, qui dans sa quête aura connu l’amour et ses désillusions avec la belle Aïche (interprétée par Claudia Cardinale), finira par se faire tuer, avant d’être remplacé par un autre jeune homme venu chercher lui aussi une audience privée. Le casting de L’Audience est particulièrement savoureux, et comme cela deviendra l’usage chez Ferreri, international. Parmi les personnages (tous assez grotesques) que le pauvre Amedeo sera amené à rencontrer, on trouve Ugo Tognazzi, dans le rôle du policier, Vittorio Gassman, qui incarne un prince ami du Pape. Côté français, on croise Michel Piccoli (dont c’est la première d’une longue collaboration de huit films avec Ferreri) et Alain Cuny en prêtres.
Sorti en 1991, La Chair est un des derniers films de Ferreri, l’antépénultième pour être précis. Son héros, interprété par Sergio Castellitto, se nomme Paolo. C’est un pianiste de bar sans grand talent, et un mari divorcé qui ne paye plus la pension alimentaire à son ex-femme. Celui-ci va faire la rencontre de Francesca (la très belle – et trop rare – Francesca Dellera), une jeune hippie de retour d’Inde, véritable bombe sexuelle adepte du tantrisme. Tous les deux vont immédiatement partir vivre dans la maison au bord de la mer de Paolo, tels des réfugiés, avec comme seules préoccupations de manger et faire l’amour. Si dans un premier temps cette thématique peut faire penser à celle de La Grande Bouffe, ce n’est que sur le papier. Exit ici l’aspect festif, La Chair est triste. La Grande Bouffe était un film de potes. Ici, inversement, Paolo va faire le choix de complètement délaisser ses amis pour vivre sa passion avec Francesca. Plus tard, quand celle-ci décidera de suivre les cigognes et de le quitter, il la tuera et la congèlera, dépeçant petit à petit son corps, dans un esprit de communion dégénérée, au sens religieux du terme.
Vingt ans séparent ces deux films, qui illustrent chacun une période différente dans la carrière du cinéaste italien. En 1971, Ferreri, dont les derniers films n’ont pas remporté de succès, essaie d’être moins avant-gardiste, et décide de retourner à un cinéma plus conventionnel. Pour La Chair, en 1991, il décide de retourner filmer en Italie, avec des acteurs alors peu connus. Ces deux films sont très représentatifs de l’univers de Ferreri, en ce qu’ils proposent deux portraits de femmes. Dans L’Audience, il réussit à rendre sexy un film à la thématique austère, qui dépeint une vision négative de la politique et de la religion dans l’Italie de l’époque, en donnant une grande importance au personnage de la prostituée incarné par Claudia Cardinale. Dans La Chair, c’est la pulpeuse Francesca Dellera (ultérieurement vue dans des films de Tinto Brass, le Russ Meyer transalpin) qui prend la relève.
Les deux films ont également en commun le fait d’être des films pessimistes, tous deux assez peu vus et peu compris en leur temps. On y retrouve des thèmes chers à Ferreri, comme ceux de l’idée fixe et de la destruction. En revanche, si L’Audience marquait une nouvelle étape dans la filmographie de Ferreri, La Chair est un film testamentaire, en forme de bilan, et il est passionnant de les découvrir ensemble aujourd’hui.