Scénariste du Tour du monde en 80 jours, l’Américain John Farrow a pourtant une belle carrière de réalisateur derrière lui. Oublié des cinéphiles, sa filmographie comporte cependant de très belles pièces, dont La Grande Horloge réalisé en 1948, d’une efficacité redoutable.
L’avènement du format DVD et l’implication exemplaire de certains éditeurs nous permettent depuis maintenant quelques années de redécouvrir une impressionnante quantité de films dont les auteurs sont aujourd’hui plus ou moins oubliés. C’est le cas de l’admirable La Grande Horloge d’un certain John Farrow qui s’est surtout illustré pour avoir cosigné le scénario du Tour du monde en 80 jours (1956). Pourtant, à voir ce film restauré par les bons soins de Carlotta, se confirme l’idée que le temps ne rend pas toujours justice aux vrais talents. Doté d’un scénario implacable, ce petit bijou du film noir réalisé en 1948 fait preuve d’une efficacité redoutable tant par la maîtrise de son rythme que par la mise en scène, d’un classicisme à la fois sobre et brillant.
George Stroud est le rédacteur en chef de « Crimes Magazine » et doit se soumettre à la tyrannie d’un magnat de la presse particulièrement antipathique et interprété avec talent par l’excellent Charles Laughton. Ce dernier assassine sa maîtresse dans un accès de colère mais les soupçons se tournent rapidement vers un homme venu lui rendre visite plus tôt dans ses appartements, et qui n’est autre que George Stroud en personne. Chargé d’enquêter sur sa propre arrestation, l’homme doit user de stratagèmes périlleux pour jouer sur tous les tableaux et sortir blanchi d’un crime qu’il n’a pas commis.
Réalisé en 1948, La Grande Horloge est le film noir par excellence. Sept ans après l’avènement du genre grâce au succès du Faucon maltais de John Huston, les codes se sont définitivement imposés dans le tout-Hollywood. Dans la parfaite lignée des plus grands réalisateurs (Lang, Hitchcock, Wilder avec Assurance sur la mort, Siodmak avec Les Tueurs), John Farrow soigne autant la mise en scène que le montage, les décors et la musique pour donner à son film l’envergure que son scénario alambiqué mérite. Comme dans Assurance sur la mort de Billy Wilder, La Grande Horloge est entièrement construit sur un flash-back lui-même introduit par le personnage principal alors qu’il est traqué dans les couloirs sombres de l’immeuble où il travaille. Oppressants, les décors – des couloirs interminables aux murs froids en passant par les buildings new-yorkais à l’acier grisâtre – prennent une dimension particulièrement symbolique puisqu’ils représentent la brutalité d’une civilisation où le cynisme d’un homme (Charles Laughton), prêt à détourner la presse de son rôle fondamental pour lui permettre de retourner la situation à son avantage, s’avère clairement payant.
De la femme fatale qui plonge – malgré elle – le héros dans une situation inextricable à la partition musicale – signée Victor Young – en passant par la photographie – de John Seitz déjà responsable de l’image d’Assurance sur la mort, La Grande Horloge fait preuve d’une exigence et d’une efficacité qui ne justifient pas la relative impopularité de celui-ci à l’avantage des autres grands films précités. Tout comme Détour d’Edgar G. Ulmer redécouvert ces dernières années, cette belle réussite de John Farrow mérite tous les éloges.