The Long, Hot Summer : très bon titre, trois mots seulement et l’ambiance est posée, avec une justesse qui rappelle les propres trouvailles de Faulkner (The Sound and the Fury, au hasard). Librement inspiré de son roman Le Hameau, Les Feux de l’été transforme le premier volet de la trilogie de la famille Snopes en une sympathique alternative à La Fureur de vivre.
Le feu, la sécheresse ouvrent le film de Martin Ritt : une grange, perdue sous un soleil de plomb doublé d’un cinémascope éblouissant comme une éclipse. Soudain, sans qu’aucun mouvement ne l’ait annoncé, une flamme, puis le brasier, en quelques secondes. Un lent travelling avant ajoute à la torpeur. Né de nulle part, le feu semble être la pure manifestation naturelle d’une force invisible, dont les effets influencent le parcours des personnages et leur état d’esprit (voir, à ce titre, la rivière de Tandis que j’agonise). Le premier à en faire les frais, Ben Quick, sorte Jim Stark aux cheveux blonds et aux yeux bleus en moins rebelle s’exile pour débarquer à Frenchman’s Band. Un type du Nord, en plein Mississippi (le film a été tourné en Louisiane, mais cela reste le Sud), même soixante ans après la guerre civile, c’est un événement. Pas particulièrement bien accueilli en temps de Grande Dépression, le cow-boy pacifique qu’incarne Paul Newman cherche du travail, a eu « son lot de filles », et bat le pavé dès qu’il le peut, sans racines pour encombrer son ascension (Faulkner s’appelait Falkner).
Au jeune premier répond le patriarche Will Varner, quasi-propriétaire de Frenchman’s Band, petite ville avec bal populaire, saloon et… prison. Le personnage se présente sous les auspices de l’ennemi autoritaire et cupide, mais ne suit pas les traces du Henry Potter de La vie est belle très longtemps : Orson Welles, au visage mi-sympathique mi-antipathique, se prête dans Les Feux de l’été à une variation bienvenue d’un rôle devenu lieu commun. Varner est bien un capitaliste libéral, mais il faut comprendre ici les deux mots séparément. Redoutable gestionnaire, il adopte avec une étonnante rapidité le nouveau venu, parce que celui-ci met du cœur à l’ouvrage, délaissant un peu plus sa filiation naturelle pour celle de la terre, dont il connaît le goût aussi bien que Ben Quick. Libéral, il l’est dans sa conception de la vie, veuf rencontrant régulièrement son amante et poussant ses filles dans les bras des garçons. Mais aussi en acceptant un vagabond malgré sa réputation de pyromane, « boutefeu » qui fait fuir tout le monde.
Drôle d’époque : le patriarche ose plus que ses cadets, désespérément indécis. Sa fille Clara (Joanne Woodward) hésite entre le vagabond étranger (son père lui a déjà légué une propriété, comme un accord tacite) et un élégant aristocrate, Alan Stewart. Les feux ne demandent de toute évidence qu’à être allumés, mais le fait d’« endurer », état de la plupart des personnages de Faulkner, se change ici en « faire durer » : de détours en disputes, tous les protagonistes s’entrechoquent sans provoquer d’étincelles. Cette torpeur, à laquelle la vigueur juvénile de Will Varner fait contrepoint, se rompt parfois dans de belles scènes d’audace, ou d’émancipation des racines : Ben Quick distille le doute en rappelant au milieu du film qu’il est peut-être pyromane, Clara accuse son père de dissimuler ses velléités de lignée derrière un intérêt pour son bonheur, et le fils délaissé du patriarche ne sera pas en reste…
Sans prétention aucune (Martin Ritt appliquera un an plus tard la même formule précieuse au Bruit et la Fureur) Les Feux de l’été retranche et ajoute à l’œuvre de Faulkner, remplace les Snopes par les Varner et perd une partie de l’outrance généalogique des œuvres : les tares se transmettent toujours de génération en génération, mais elles constituent aussi un prétexte un peu plat à une conclusion qui s’abat comme une chape sur des flammes pourtant enfin dansantes.