Conteur, illusionniste, funambule, démiurge… les nombreux qualificatifs attribués au cinéaste rendent compte de la difficulté de saisir l’essence de ce métier. Manifeste du cinéaste en présente les multiples facettes (vie professionnelle, environnement économique et formation) sous forme de recueil de réflexions dénuées du ton solennel que le titre laisse présager.
Cinéphile, cinéaste et enseignant, Frédéric Sojcher s’est essayé à la fiction et au documentaire (en particulier Cinéastes à tout prix sélectionné à Cannes en 2004), au court comme au long métrage. Et c’est bien là l’intérêt du livre : permettre au spectateur d’appréhender la réalité de la création cinématographique en compagnie d’un homme de terrain et prendre conscience de l’extraordinaire complexité des interactions qui président à la gestation (scénario, plan de travail, composition de l’équipe…), à la naissance (aléas du tournage, rôle du producteur…) et à la vie d’un film (réception de critique, succès public, déclinaison télévisuelle…). Le réalisateur apparaît alors comme un homme seul et la matérialisation de son désir, une savante alchimie qu’il ne maîtrise pas entièrement. Le problème premier du cinéaste ? Défendre son regard singulier, sa place d’artiste et parfois sa peau face aux techniciens, aux acteurs, aux producteurs… Mais Sojcher fait ce constat sans acrimonie malgré la pénible expérience de son premier long-métrage Regarde-moi, qui avait vu une partie de l’équipe se rebeller contre lui et dont il a déjà décrit les péripéties dans Main basse sur le film aux éditions Séguier.
La seconde partie du livre fournit quelques rappels utiles : le cinéma a mis vingt ans pour être considéré comme une expression artistique et il a fallu attendre 1957 pour que le cinéaste soit reconnu en France comme un auteur à part entière. Or ce statut n’est pas intangible. Aux États-Unis, le producteur achète le scénario et devient par la même propriétaire de l’œuvre. Le réalisateur est un exécutant au service des lois du marché. Aussi le gouvernement américain a-t-il toujours interprété les systèmes d’aides et les réglementations européens en faveur du cinéma comme autant d’entraves à la liberté commerciale de sa propre industrie cinématographique. La récente « bataille du GATT » s’est soldée par une victoire européenne mais la guerre en est-elle pour autant gagnée ? Encore faudrait-il que quelques figures du paysage cinématographique français se sentent concernés : de Rohmer, individualiste forcené, refusant de mettre sa notoriété au service de la défense de la diversité culturelle européenne à Besson, maître du matraquage promotionnel revendiquant son inculture cinématographique, un certain individualisme semble être de mise.
À l’heure où le cinéaste voit son statut remis en cause par l’évolution du secteur audiovisuel et la part de plus en plus importante prise par le petit écran sur le devenir du grand par le biais des coproductions, où les produits formatés tendent à remplacer les œuvres et où l’exception culturelle cède du terrain face à la recherche systématique de la rentabilité économique, Frédéric Sojcher propose une mise au point salutaire sur le métier de cinéaste et son avenir. À chacun alors de s’interroger sur les conséquences de sa relation personnelle au cinéma. Et d’abord la critique qui doit refuser de se « confondre avec les campagnes promotionnelles » en restant « un contre-pouvoir essentiel au règne du marché ». Critikat s’inscrit pleinement dans cette démarche.