Terezín ou Theresienstadt, ancienne ville de garnison située dans la région des Sudètes en Tchécoslovaquie, est construite entre 1780 et 1790 par l’empereur Joseph II, qui lui donne ce nom en l’honneur de sa mère Marie-Thérèse. La bourgade se trouve transformée en prison de la Gestapo en 1940, avant que les nazis ne la convertissent en camp de concentration pour les Juifs du protectorat de Bohême-Moravie, en octobre 1941, et que le lieu ne devienne le décor sinistre du film de propagande le plus cynique qui soit, connu aujourd’hui sous trois titres différents. Le Führer offre une ville aux Juifs ou Le Führer fait cadeau d’une ville aux Juifs (Der Führer schenkt den Juden eine Stadt), un titre que les détenus lui auraient donné. Ou Theresienstadt – ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Un documentaire sur la zone de peuplement juif), le titre officiel qui témoigne de l’art du mensonge de la propagande nazie, en évoquant le genre documentaire et en osant l’euphémisme à propos du ghetto. En réalité, il s’agit d’un camp de concentration où beaucoup trouvèrent la mort et qui ne fut pour un grand nombre qu’une étape vers Auschwitz. Ceux-là mêmes, les Juifs de plus de 65 ans, les infirmes de guerre ou les vétérans de guerre décorés de la Croix de fer 1re classe, qui ont voulu croire à la propagande nazie qui leur promettait de trouver refuge dans ce lieu spécialement pensé pour eux. Eux qui s’étaient apprêtés à y commencer une nouvelle vie et avaient tout sacrifié pour cela, comme ces Prominente juifs allemands, professeurs d’université, anciens dignitaires de l’État… En arrivant sur place, le choc était à la mesure des conditions de vie plus que misérables à Theresienstadt. Le cadeau du Führer était évidemment empoisonné.
« Le Hollywood des camps de concentration »
Parmi les 140.000 personnes qui y furent envoyées, 90.000 ont ensuite été dirigées vers d’autres camps d’extermination. 34.000 sont mortes sur place, de faim ou de maladie. Quand, en 1943, 481 Juifs danois sont envoyés dans cette « zone de peuplement juif », le gouvernement danois fait la demande de pouvoir leur rendre visite et obtient gain de cause auprès d’Adolf Eichmann. Si celui-ci finit par leur accorder le droit de s’y rendre, il leur demande de patienter… jusqu’au printemps 1944. Le temps d’arranger et de préparer cette visite officielle. Même s’il y a eu d’autres films précurseurs (l’un film tourné en 1942, d’autres tournages en janvier 1944), le projet de film sur le ghetto de Theresienstadt est unique car né du désir de la SS et non de Goebbels, expert en matière de films de propagande (Le Juif éternel de Fritz Hippler, Jud Süß de Veit Harlan, Le Triomphe de la volonté de Leni Riefenstahl…). L’idée de tourner un film revient à Hans Günther, SS-Sturmbannführer de l’Office central pour l’émigration juive à Prague, qui entreprend aussi la transformation du ghetto, son futur lieu de tournage.
En effet, afin de recevoir comme il se doit ce comité, formé de représentants du gouvernement danois ainsi que de membres de la Croix-Rouge internationale, un vaste programme d’embellissement et de rénovation est entrepris, des coulisses potemkiniennes sont érigées. On repeint les façades, construit un terrain de jeu pour enfants, un pavillon de musique, on remplit les vitrines des magasins, rénove les cafés… On prépare ce décor auquel H.G. Adler attribuera le surnom de « Hollywood des camps de concentration » 7.500 personnes sont encore envoyées directement à Auschwitz peu avant le tournage du film : il s’agit de faire place nette. Vieillards, blessés, tuberculeux disparaissent ainsi de la liste des potentiels figurants. C’est à Kurt Gerron, acteur et metteur en scène juif, qu’on confie dans un premier temps le tournage du film. Dans des conditions bien particulières : la SS est partout présente jusqu’à vérifier les angles des prises de vue. Gerron ne verra jamais ce film, envoyé peu avant la fin du tournage à Auschwitz où il périra dans les chambres à gaz, un sort réservé à la plupart des « figurants » de ce film. C’est Karel P., le directeur de la société d’Aktualita, qui terminera le tournage. Le 28 mars 1945…
Le film durait au départ quatre-vingt-dix minutes mais a été en partie détruit par les nazis, juste avant l’arrivé de l’Armée rouge dans le camp. Une vingtaine de minutes subsistent néanmoins : douze des trente-huit séquences ont été retrouvées en 1964 dans les archives cinématographiques pragoises, vingt-quatre autres fragments d’une durée de sept minutes trente au total (séquences sportives, celle de l’hôpital, des enfants qui mangent et jouent et de l’opéra pour enfants de Hans Krása) à Yad Vashem, plus d’une vingtaine d’années après, en 1987, et il a été possible de remettre la main sur quinze séquences supplémentaires dans différentes archives. De même, les esquisses du peintre Jo Spier qui décrivent sept séquences existent toujours et aident aussi à la compréhension de la structure du film. La plus grande partie met en scène des loisirs, des activités artistiques ou sportives distillant ainsi une impression bucolique et joyeuse de la vie à Theresienstadt. La musique de Mendelssohn ou d’Offenbach accompagne les images trompeuses. On entend même des chansons populaires yiddish. Bei mir bist du shein. Schön, belle semble être la vie à Theresienstadt.
« Le temps libre est laissé au bon plaisir de chacun », explique le commentateur.
Défilent ainsi des petites scènes comme prises sur le vif. Lecture, tricot, concert, partie d’échecs. Enfants qui jouent, courent, se tiennent par la main pendant que d’autres rient ou mangent goulûment des tartines. Femmes conversant dans leur baraquement, hommes en pleine discussion dans la bibliothèque centrale. Repas familial, douche aux bains municipaux… Tous ces prisonniers-comparses sont en bonne santé, bien habillés. Mélange de sourires, de regards vers la caméra ou baissés. Rien ne semble dénoter, même si l’idéologie raciale et ses signes extérieurs n’ont pu être complètement gommés (pas de blonds, l’étoile jaune…).
La scène la plus longue dure deux minutes quarante-trois. C’est le match de foot et les supporteurs sont « enthousiastes », précise la voix-off… « Le soir des conférences sur des thèmes scientifiques et artistiques sont très fréquentées. » Gros plans de visages d’hommes âgés et sages, parmi lesquels le professeur Emil Utitz, le rabbin Leo Beck ou Benjamin Murmelstein, présent aussi dans une scène coupée, celle dans laquelle Paul Eppstein tenait un discours sur l’embellissement de la ville, pendant le Conseil des Doyens. Eppstein ayant été exécuté, la scène a été retirée au montage : un des buts du film était de montrer que tous ces Prominente étaient encore en vie…Un tiers du film seulement a trait au travail dans le camp. Cordonnerie, couture, poterie, voire sculpture. « Le travail bénéfique à la communauté est accompli par cent personnes.Les groupes sont formés selon leurs capacités. La formation se poursuit si nécessaire. Ceux qui veulent travailler sont enrôlés immédiatement. Quand la journée est terminée, les travailleurs quittent les ateliers et retournent en ville. » Travail et loisirs, harmonie et bien être. Ordre, propreté et bonne organisation. Tout concourt dans le film à montrer une communauté qui s’organise elle-même, active au niveau professionnel, intellectuel, culturel et sportif.
Récréer la vérité, créer le mythe
« Là où commence Theresienstadt commence le mensonge. » Ce sont les mots de Benjamin Murmelstein, le dernier responsable du conseil juif du camp de concentration de Theresienstadt auquel beaucoup reprochent aujourd’hui encore d’avoir participé, sinon facilité l’action de rénovation du camp. La captation de ce mensonge ne peut donc qu’être un leurre sur le leurre. Une fiction qui se donne des airs de documentaire. Il ne s’agit plus cette fois, comme dans les films de propagande précédents, de désigner l’ennemi au public, à coup de stéréotypes et d’images dégradantes, mais de le montrer sain et sauf. Tout en lui créant, une fois de plus, une histoire. En recréant l’Histoire. Comme si les ghettos et les camps de concentration n’avaient jamais existé. Comme s’ils avaient toujours été des sortes de kibboutzim autorisés en territoire nazi.
Crédit : Jérôme d’Estais
L’arme de propagande et de combat qu’est l’image a autant à voir avec ceux qui la produisent qu’avec ceux qui la regardent. Seulement, l’imaginaire nazi se nourrissant d’images, ses communicants n’en manipulent que plus facilement un public moins aguerri, fixant les règles et la grammaire. Seule compte l’histoire. Pas l’Histoire. C’est cela un film de propagande comme Theresienstadt. Raconter une histoire. Même invraisemblable. D’autant plus folle et cynique, qu’il s’agit de faire un film contre ce que le spectateur pourrait déjà savoir. Le dispositif filmique (sujet, repérage, personnages, cadrage et enregistrement, structure narrative, montage, commentaires, musique…) ne privilégie même plus le détournement (des mythes, de l’Histoire, du réel), comme dans les films de propagande du IIIème Reich, mais opte pour la création pure. Un conte qui avance masqué, sous la forme documentaire. Un conte censé devenir vérité historique. Recréer la vérité, créer le mythe et l’enregistrer. La succession de vignettes, mises en scène et agencées afin qu’elles ressemblent à ce modèle, se veut ainsi descriptive, informative. Il s’agit de faire vrai, de créer un effet de réel, d’authentifier le récit. La fiction. Comme dans le roman naturaliste.
De mettre en scène (une mise en scène nazie, pour reprendre les mots de Lanzmann) ces détails, en les mêlant aux omissions et autres figures du mensonge si parfaitement maîtrisées, en les faisant passer pour vérité générale. Séduire et convaincre la délégation. Montrer que ceux dont on se souciait encore étaient toujours en vie, voire en bonne santé. Les Juifs ensuite. Faire disparaître chez eux la peur d’être envoyés dans des camps à l’Est, afin de faciliter les transports vers l’extermination. Attirer aussi ceux qui étaient prêts à payer le prix fort pour être logés dans un ghetto qui semblait sûr et convenable. Créer enfin un document qui, une fois la guerre finie, pourrait servir à embellir le passé en le falsifiant. Nier tout simplement a posteriori la réalité des faits, l’extermination des Juifs d’Europe.
Qu’on ait pu s’en servir comme film de propagande intérieur paraît par contre assez peu probable, comme l’a constaté l’historien Magry : les spectateurs allemands habitués à la propagande agressive anti-juive, auraient sans aucun doute été « troublés » par ces images témoignant d’une vie harmonieuse entre Juifs. Si quelques-unes de ces images ont été reprises dans la « Wochenschau », résumé filmique hebdomadaire projeté chaque semaine dans les salles de cinéma du Reich, c’était justement pour mettre en opposition l’apparente oisiveté des Juifs et leur bien-être par opposition aux soldats allemands qui, eux, luttaient pour le salut du Reich. Au commentaire parlé de jouer son rôle et de parfaire le mensonge de l’image.
Car les nazis manipulaient le langage aussi bien que les images. Si certains à qui le film était destiné ont su le décrypter car ils savaient (« Les acteurs et figurants ont été déportés à Auschwitz en octobre 1944 et gazés là-bas » écrit immédiatement Reszö Kasztner, un représentant des Jüdischen Rettungskomitees de Budapest, à qui on venait de projeter le film), d’autres n’ont pas pu ou ont prétendu ne pas pouvoir… Qu’en est-il aujourd’hui, de ceux qui sont censés faire la différence entre réalité, fiction, virtualité ? Qu’en est-il des nouveaux lecteurs de ces images qu’on trouve si facilement et partout (YouTube), déconnectées de tout contexte, explications, mélangées à d’autres documents, morcelées, remontées parfois, sur le lieu même où elles ont été tournées ?
Voir les images sur place
Le poison du mensonge est pensé pour durer, comme le montre Victor Klemperer qui s’est longuement penché sur les rapports entre langage et mensonge. Dans le cas de Theresienstadt, un pédagogue allemand le confirme qui, accompagnant des élèves au camp, depuis des années, est habitué à ce que certains, après avoir visionné des extraits du film, arrivent à la conclusion que la vie ne devait pas être si dure que cela à Theresienstadt. À l’inverse, comment voir ces images, sans remplir le hors-champ de ce que l’on sait ou ne sait pas, en cédant à ce que Sebald appelle « l’esthétique du trop-plein et de l’hypervisibilité ; chevauchement et hybridation des âges et des régimes du visible, […] pulvérisation des durées et nivellement des temporalités » ?
Ne les considérer que comme de simples images de propagande pour dupes ? Entendre Murmelstein dans le film de Lanzmann, Le Dernier des injustes, plaider le fait qu’elles étaient leur dernière carte à jouer pour survivre ? Que le film aurait, dans le mouvement d’embellissement du camp, servi plus que desservi les prisonniers ? Si Eichmann filmait le camp, le montrait, celui-ci ne pourrait plus disparaître. « Oui, c’était une propagande et ça m’allait bien car il fallait nous montrer », continue-t-il.
Ou voir dans Theresienstadt – ein Dokumentarfilm aus dem jüdischen Siedlungsgebiet (Un documentaire sur la zone de peuplement juif) un film qui, comme toute œuvre, et surtout dans le cas d’un documentaire, échappe à ses créateurs, l’image montrant toujours plus que ce qu’on voulait montrer, communiquer ? Quitte à annuler le message d’origine ? L’historien Lutz Niethammer considère par exemple que plusieurs séquences du film, mises en scène sous la contrainte par Gerron, semblent s’opposer au Juif éternel, le film de propagande de 1940 dans lequel l’acteur et metteur en scène juif était pris comme un des nombreux exemples de l’ennemi. Les corps de Theresienstadt ne sont pas malingres comme ceux du ghetto de Varsovie, les scènes des vieux sages et intellectuels s’opposent à l’image dégénérée de la culture juive véhiculée par les Nazis, ce qui tendrait à prouver, toujours d’après Niethammer, que Gerron aurait cherché, à travers le film, à faire passer un message.
De même, des signes de résistance sont décelables à l’intérieur du film, du faux documentaire. On en trouve hors champ, comme on le verra (les dessins de ceux-là mêmes qui participaient à la création du film), mais dans le champ aussi. Niethammer parle de résistance des visages, Sylvie Lindeberg de cette vieille dame qui cache le sien, pendant que ceux des spectateurs sont fermés pendant la représentation de « Studie für Strichorchester » de Pavel Haas. Lindeperg montre aussi « les traces de réel qui lézardent le masque de la propagande », comme les enfants de l’opéra, qui semblent plus effrayés qu’heureux. Ou inversement les traces de fiction qu’on ne peut gommer, comme cette scène de deux petites filles se tenant par la main en sautillant, qui sonne tellement faux que l’on comprend qu’elles entrent dans le cadre comme dans une fiction, ou celle du match de foot, silencieuse (si ce n’est les cris des enfants) pendant que le commentaire parle de « supporters enthousiastes », eux qui ressemblent soudain à des figurants néophytes. C’est aussi la scène de repas « familiale », tournée avec les membres de deux familles distinctes, l’une de Berlin, l’autre d’Amsterdam. Des familles connues dans la communauté juive. « Négligence, inconséquence ou lapsus », la scène authentifie le mensonge pour la postérité.
Il faut voir les images sur le lieu même où elles ont été tournées, en les confrontant aux archives, documents, photographies contenus dans ce qui est devenu un lieu de mémoire, un musée. Et pourtant connaissance et croyance en les lieux ne suffisent pas. Savoir, voir et écouter. C’est le sens des pérégrinations dans la forteresse de Theresienstadt et des longues descriptions de Lanzmann (la scène de la pendaison) dans Le Dernier des injustes. Ce en quoi celui-ci a toujours cru depuis Shoah.
Toutefois, peut-être parce que le silence des lieux ne peut pas seul s’opposer au cynisme de l’entreprise, que l’oralité ne peut pas englober le mensonge dans toute sa monstruosité mais aussi son grotesque, Lanzmann choisit cette fois de montrer les images cyniques et mensongères venues du passé. Et, en contrepoint aux images folles de cette fiction nazie, de leur opposer d’autres images, celles de ceux qui ont été forcés de participer à l’entreprise potemkinesque du film et qui, en cachette, la nuit, s’évertuaient, à leur manière, à détruire le mensonge en montrant l’envers du décor (ce dessin de Fritta qui représente des façades de magasins comme des trompe‑l’œil à coulisses dissimulant des cercueils…), dessinant la vérité de ce qu’ils vivaient et l’enfouissant, une fois finie, sous la terre, pour qu’elle soit un jour déterrée. Ce sont les dessins, tableaux, esquisses de prisonniers de Theresienstadt, pour la plupart, des Juifs tchèques, membres du bureau technique en charge des plans de construction. Bedrich Leckerer, Fritta, Ferdinand Bloch, Otto Ungar, presque tous morts dans les camps d’extermination. Des dessins qui montrent la réalité, la vérité. Une mise en forme artistique de la vérité. Le véritable art contre l’art du mensonge. La dégénérescence change de camp.
Qu’y voit-on ? Des cadavres emportés sur une remorque, comme sur le dessin de Bederer, trente à la fois nous explique Lanzmann dans son film. Dans une baraque, des rites funèbres pour plus de trente cadavres, quatre fois par jour, comme sur le dessin de Ferdinand Bloch. Des corbillards, réquisitionnés aux communautés juives de Bohême, qui servent à transporter le pain, le charbon, le linge. Et les personnes âgées pour l’épouillage. Un moyen de transport pour les prisonniers, qui s’y accrochent pour ne pas tomber, métaphore de ce qui attend la plupart des vivants à Theresienstadt. Mais sont-ils vivants ? Le film comme un rêve cynique et réaliste, les dessins comme un cauchemar absurde et monstrueux. Un monde à la renverse, pour reprendre une fois encore les termes de Claude Lanzmann.
Crédit : Jérôme d’Estais
Réécrire son propre film
Un cauchemar qu’on peut réécrire, faire sien, comme Austerlitz, le héros du roman homonyme de Sebald, à la recherche de sa mère, et qui visionne le film au ralenti, à son rythme : « L’impossibilité de fixer plus précisément mon regard sur ces images qui en sorte disparaissaient aussitôt qu’elles avaient surgi […] m’incita finalement à me faire confectionner à partir du fragment de Theresienstadt une copie au ralenti étirant la durée à une heure entière, et de ce fait, dans ce document quatre fois plus long que depuis je n’ai cessé de me repasser, sont devenues visibles des choses et des personnes qui jusque-là m’étaient restées cachées. On a maintenant l’impression que les hommes et les femmes des ateliers effectuaient leurs tâches en somnambules […] Mais le plus troublant dans cette version au ralenti, c’étaient encore les bruits […] le cancan de « La Vie parisienne » et le scherzo du « Songe d’une nuit d’été » de Mendelssohn, évoluent eux aussi dans un monde que l’on qualifierait de chtonien, en des profondeurs tourmentantes… […] on ne percevait plus à présent, dit Austerlitz, qu’un grognement menaçant. » Réécrire son propre film. À la fiction, au mensonge, opposer la sienne, à partir du réel.
Histoire et histoire mélangées, une fois encore, c’est la réponse de Sebald à la propagande. Répondre avec les mêmes armes. Car opposer le réel à la fiction est dangereux, périlleux : le faux semble soudain plus vrai que le vrai… Chez Sebald, chez les artistes de Theresienstadt ou sur ces photos en noir et blanc, sortes de cendres de l’Histoire insérées dans le texte, à l’aspect fantomatique, irréel, noir, on est plongé dans un univers de cauchemar éveillé, d’irréalité aux accents de vérité. On a pénétré dans le monde des morts et des vivants. Le temps s’est arrêté.
Éternel recommencement.