Ça se filme comment, un homme politique ? De dos, embrassant la foule les bras grands ouverts, ou bien plus modestement, de face, devant un micro et le visage ébloui par quelques flashs ? Dans Primary (1960), Robert Drew suit les deux sénateurs Humphrey et Kennedy jusque dans leurs voitures, pour révéler le secret des debriefs en compagnie des conseillers, puis au sein des rassemblements où s’échangent poignées de main et bons mots complices. Les choses sont un peu différentes dans Municipale, puisque l’homme qui débarque un jour à la gare de Revin n’est pas encore un politique. Laurent Papot arrive incognito dans la ville, escorté de Thomas Paulot, le réalisateur du film. C’est le moment de prendre ses marques : on repère le bistrot, les anciennes usines de Electrolux, et puis le petit local qui constituera bientôt le QG de la campagne. Car le but de Paulot est de faire élire Papot aux prochaines élections municipales, pour documenter le processus électoral. Dès son ouverture, le film se place d’emblée loin de l’imaginaire des meetings politiques où des cohortes de sympathisants brandissent des drapeaux au son de chants plus ou moins patriotiques. Municipale démarre avant et ce léger décalage temporel par rapport aux traditionnels documentaires de campagne instille un agréable sentiment d’avant-première, une impression de calme avant la tempête. L’idée, pendant les quelques semaines qui précèdent le premier tour des élections, est de faire adhérer une partie des 6000 habitants au projet de Papot, puis de réunir le nombre de signatures nécessaires à une candidature officielle. C’est là que le film, et au-delà la campagne, s’éloigne des chemins balisés, en cela que le but du prétendant à la mairie est de renoncer à son siège une fois élu et de le laisser à la disposition des habitants de Revin. Municipale entend de la sorte renverser la logique électorale et faire durer ce qui n’est habituellement qu’un interlude — le débat, la participation citoyenne.
Se prendre au jeu
Ce qui apparaît d’abord comme un drôle de concept (venir de Paris pour filmer une petite expérience en Province) se révèle être une opération en fin de compte plutôt astucieuse. Tourné en 2020, le film semble fonder son principe sur un sentiment alors largement partagé par la population française de défiance à l’égard de la classe politique. Les élus s’apparentent à des marionnettes interchangeables ? Qu’à cela ne tienne, mettons donc au pouvoir une personne qui, par définition, peut être n’importe qui, c’est-à-dire un acteur. Le ras-le-bol général est moins pris à rebours qu’exploré dans ses derniers retranchements. Le pari de Thomas Paulot tient dans l’élection d’un homme de paille qui se présente comme tel. Laurent Papot joue le jeu et part à la rencontre des revinois, leur présente son anti-programme et les invite à des réunions. Entre deux débats sur la désindustrialisation de la ville, on assiste à la création d’une persona politique, parfois dans ce qu’elle a de plus stéréotypée — on pense à la composition de la photo de campagne : regard déterminé, front coupé, Revin 2020.
Le film dessine ainsi par touches une série de comportements qui finissent par faire du candidat une incarnation plus conventionnelle d’homme politique. Papot se transforme, adopte les canons de la communication non-verbale (poings serrés, index tendu, etc.) et se voit formé à l’art de répondre aux questions sans trop y répondre (cf. la séquence hilarante de media training). En miroir, les revinois et le spectateur sont progressivement séduits par sa conduite. En auscultant et en reconstituant cette image du politique, Paulot ne met pas seulement en lumière un simulacre, mais assume la contrefaçon et cherche à voir jusqu’où le déguisement peut le mener ; en l’occurrence, à la réappropriation de l’autorité politique par les citoyens. Mais à trop jouer au fou, on en perd la raison et Papot commence sérieusement à s’imaginer en maire de Revin. Comme si de rien n’était, il devient ce qu’il devait simplement représenter. Il revient finalement au film la charge de se demander s’il existe une différence entre l’être politique et le « faire politique ». La politique peut-elle échapper à la personnification ? La réponse apportée ici s’avère univoque : c’est un échec. L’acteur Papot doit croire en sa capacité à être élu pour devenir le candidat Papot. Sa non-élection (par manque de signatures) est vécue comme un drame personnel, alors qu’elle ne devait être qu’une formalité s’inscrivant dans un projet désintéressé. Le jeu politique se dévoile alors pour ce qu’il est : une plante carnivore où s’engluent tous ceux qui entendent y prendre part.