Entre interrogations, doutes et enthousiasme, la création d’un nouvel espace dédié au cinéma dans le quartier populaire de Barbès est un enjeu de taille. Qu’est-ce que cela signifie de rouvrir un cinéma ? Pour qui et pourquoi ?
Le Louxor réouvrira ses portes dans un an
Bâtiment mythique situé sur le boulevard de Magenta entre le 18e et le 10e arrondissement, le cinéma Le Louxor est l’objet de toutes les convoitises, de par sa situation géographique, mais également de par son histoire. Il s’agit d’une des plus anciennes salles de cinéma parisiennes dont l’architecture de la façade et des toitures est protégée comme Monument Historique. Cinéma puis boîte de nuit, le Louxor a été laissé à l’abandon depuis 1987. Racheté en 2003 par la Mairie de Paris, le cinéma fait partie d’un vaste plan de politique de la ville, intimement liée à la politique culturelle – comme c’est le cas avec la Gaîté Lyrique, le 104, ou les projets comme le prochain cinéma Porte des Lilas – la Mairie de Paris misant sur la culture comme outil de dynamisme d’un quartier. Le Louxor devrait rouvrir au printemps 2013, six mois après que la mairie ait décidé à quel exploitant elle allait confier les clés du cinéma, qui devra payer chaque mois un loyer à la municipalité.
Heures de gloires puis déboires du Louxor
Le Louxor appartient à la première vague de construction de cinéma, qui consistait à donner un lieu à ce qui n’était pas encore considéré comme le Septième Art, cantonné aux projections dans les foires. Tout d’abord inauguré en 1921, le Louxor est baptisé ainsi en l’honneur de sa façade néo-égyptienne, pensée par l’architecte Henri-André Zipcy. Il s’agit en effet d’un des vestiges des plus anciens cinémas de Paris, parmi lesquels figurent le Cinéma du Panthéon (ouvert en 1907, rénové en 1930), le cinéma Palace, construit en 1907, le Max Linder Panorama, inauguré en 1912, rénové en 57 puis 2007 et Le Latina, ancien cinéma de l’Hôtel de Ville, construit en 1913 et reconstruit en 1995.
Le Louxor est géré tout d’abord par le groupe Fournier-Lutétia en 1922, le groupe Pathé en prend la gérance avant de le racheter en 1930. C’est alors un cinéma qui projette essentiellement des films à succès et qui se développe avec les premiers films parlants. Des musiciens comme Dizzy Gillepsie (l’un des plus importants trompettistes de l’histoire) prennent le relais des films en complément des soirées. C’est alors un lieu très fréquenté, développant un véritable aura sur le quartier.
En 1954, Pathé rénove la salle, et c’est alors des films d’actualité, des péplums et des films de série B qui y sont montrés. Dès les années 1970, l’apparition de la télévision dans les foyers engendre un changement de programmation et de fréquentation ; les films indiens ou arabes prendront le pas sur la programmation précédente. Comme l’indique Jean-Pierre Lignon (ancien directeur d’exploitation, actuel exploitant du Pathé-Wepler), le cinéma devient alors un endroit où se passe tout un tas de choses… qui ne sont plus vraiment du cinéma (dégradation de la salle et activités marginales). Néanmoins, les façades et les toitures du bâtiment sont inscrites sur l’inventaire supplémentaire des Monuments Historiques comme ce fut le cas pour l’Eldorado (désormais le Comédia), le Rex et la Cigale. En 1983, Pathé ferme le Louxor et le vend à la société Tati pour 6 millions de francs. À défaut de pouvoir y installer son magasin, Tati le donne en gérance à deux boîtes de nuit : La Dérobade et le Megatown, boîte antillaise pour le premier et la plus grande des boîtes gays de France de l’époque pour le second.
Ce que sera le Louxor
Depuis 1990, le Louxor est donc un lieu inoccupé, qu’il est difficile d’exploiter pour un privé, la façade étant protégée comme monument historique. Le bail étant tellement élevé, et la Mairie de Paris ne pouvant pas laisser ce lieu à l’abandon, elle décida de s’en porter acquéreuse en 2003. Un appel à projets voit ensuite la rénovation de la façade du Louxor confiée au cabinet de l’architecte Philippe Pumain. Il est décidé de reconstruire la façade comme l’avait construite Henri-André Zipcy dans les années 1920, c’est-à-dire dans un style néo-égyptien. À l’heure d’aujourd’hui, plusieurs exploitants sont en train de réfléchir à un projet pour le Louxor, en termes de programmation, de tarifs, et d’animation. La réponse de la mission cinéma de la Mairie de Paris ne sera rendue publique qu’à la fin 2012. L’exploitant choisi n’aura alors que quelques mois pour emménager dans le lieu, la mairie de Paris restant le propriétaire, l’exploitant le locataire, avec un cahier des charges à respecter. On sait d’ores et déjà que le Louxor sera un complexe de trois salles, la plus grande avec 342 places, une moyenne de 144 places, et une plus petite salle de 79 places, permettant des programmations plus risquées. La plus petite salle permettra d’accueillir des spectacles, et le foyer au premier étage des petites expositions. Un café verra le jour au premier étage, même s’il demeure assez restreint (une cinquantaine de places).
Les enjeux d’un cinéma à Barbès
L’appel à candidatures de la Mairie de Paris stipule que l’exploitant « veillera à la dimension d’animation locale et d’ouverture sur le quartier », fondamental pour le lieu, s’ancrant dans un quartier avec une réputation qui le précède (à côté de la Goutte d’Or, connu notamment pour ses petits trafics ou ses vendeurs à la sauvette aux alentours du métro). Le travail avec les associations semble donc essentiel, puisque les habitants du quartier devront être impliqués et intéressés par ce projet de vie, financé par la Mairie en faveur de ces mêmes habitants du quartier. À ce jour, trois associations organisent fréquemment des actions en faveur de la réouverture du cinéma : « Paris-Louxor, vivre ensemble le cinéma », qui organise des apéros et des pots de rencontre dans le quartier, réalise des entretiens et va bientôt sortir un journal, « Les Amis du Louxor », qui sont plus axés sur la réouverture du lieu ainsi que le patrimoine, et « Action Barbès », association de quartier.
Postuler le dynamisme d’un quartier par la culture est une proposition intéressante, encore faut-il rendre cette offre accessible de deux manières : par les films proposés, mais également par ses conditions d’accès (notamment le tarif d’entrée). On peut se poser la question : serait-il cohérent de mettre un grand groupe à cet endroit (comme UGC ou Gaumont), dont les tarifs pourraient attirer a priori un public plus vaste ? Pourquoi pas, d’autant plus quand on sait que la Mairie de Paris demande à ce que le nouvel exploitant équilibre les charges et les recettes du lieu après sept ans d’occupation. Mais un très grand groupe comme UGC serait-il à même de respecter le cahier des charges imposé par la municipalité ? Avec notamment l’obligation d’une programmation art-et-essai, et une cinématographie ouvert sur les cinémas du Sud. Une autre question se pose : la label art-et-essai est-il cohérent dans ce quartier ? Peut-il y avoir de l’art-et-essai « populaire » ? La réponse est bien évidemment oui, car ce label n’empêche en rien des films « grand public » d’être art-et-essai (Le Discours d’un roi, Des hommes et des dieux, ou encore The Social Network étaient classés art-et-essai). Elle permet essentiellement de garantir une offre de cinéma variée, et c’est en ce sens-là que ce label est intéressant dans ce quartier : il permet de proposer une offre culturelle différente que celle offerte par des cinémas proches comme l’UGC Ciné Cité, le Rex ou le Pathé Wepler. Car c’est aussi la découverte de certains films qui suscite des vocations cinématographiques. Ce projet résonne alors doublement quand on sait que la Fémis, une des plus grandes écoles de cinéma d’Europe, est implantée dans le 18e, non loin de Barbès. Par ailleurs, la mairie de Paris souhaite favoriser la programmation des cinématographies du Sud (offre qui n’existe actuellement pas à Paris).
Ce choix est pionnier car il permet de faire découvrir une cinématographie encore peu connue, et de créer un public nouveau de cinéphiles, notamment pour une nouvelle frange de riverains, pour qui la barrière de la langue aurait pu être un obstacle.
La mairie de Paris donnera officiellement la réponse du choix de l’exploitant lors du dernier trimestre 2012, et c’est à ce moment-là qu’on pourra envisager la cohérence « réelle » du projet.