Votez McKay, sorti en 1972, développe a priori le thème classique de la confrontation de l’idéalisme à un réel plus ardu. Véritable plongée obsessive dans une campagne sénatoriale, le film de Michael Ritchie, moins connu que les essais politiques d’un Pakula, évoque pourtant, à la même époque, la même désillusion politique, avec, au centre, le même acteur phare : Robert Redford, qui ébauchait là une filmographie plus engagée, et remettait au goût du jour un genre, la chronique électorale.
Film-pivot du début des années 1970, Votez McKay a quelque chose d’un Lauréat qui aurait grandi en se politisant : comme pour Benjamin Braddock, la libération, la sortie de l’enfance et de l’idéalisme a un prix pour Bill McKay : celui de la désillusion. Le projet du film fut initié par Robert Redford lui-même qui n’aura de cesse dans le reste de la décennie de poursuivre ce chemin engagé, notamment en 1974 avec les excellents Hommes du Président. Lorgnant moins sur le polar ou le film à suspense qu’un Pakula, le tandem Redford-Ritchie choisit la veine réaliste : dans le choix des auteurs tout d’abord, puisque le scénariste du film n’est autre que Jeremy Larner, ancienne plume du sénateur démocrate McCarthy (Eugene, pas Joseph). C’est aussi dans la construction du décor humain que le film fait preuve de modernité : trente ans avant l’admirable série The West Wing, le film entre en politique par la communication. Filmer la parole ne se conçoit pas, pour Ritchie, sans une étude de la construction de cette même parole. Ni Ritchie ni Redford ne se font prophètes ; le film est une percée analytique, une intrusion dans la campagne. Pour la petite histoire réaliste, il est d’ailleurs sorti un mois avant les primaires de Californie, l’affiche du film fonctionnant comme un pastiche des tracts en circulation.
The Candidate suit donc un jeune avocat, Bill McKay, fils de gouverneur ayant résolu son Oedipe en prenant délibérément le contre-pied familial : contrairement à papa, Bill défend les humbles et n’a que mépris pour la stratégie politique. C’est donc avec circonspection qu’il accueille Marvin Lucas un matin : spécialiste électoral, Lucas est à la recherche d’un candidat charismatique démocrate dans la bataille sénatoriale face au très populaire Jarmon. McKay refuse en premier lieu, assimilant toute participation publique à une mascarade. Mais Lucas lui propose un marché : n’ayant aucun chance face à Jarmon ‑que tous les sondages annoncent gagnant, McKay pourra faire sa campagne, et conservera sa liberté de forme et de fond. Pris au jeu, et au piège, de la lutte, Bill refuse d’être un simple nom et d’être humilié par un résultat attendu. Il entre donc réellement en campagne et, tout en réussissant à imposer certaines thématiques sociales ‑l’assistance, l’emploi, la ségrégation, s’intègre peu à peu à la machine du parti et des stratèges de celui-ci. Votez McKay décortique ce système déréglé et perturbant, mais aussi le processus d’altération qu’il provoque irrémédiablement sur les esprits les plus clairs, les plus volontaires ou persistants.
Tout ici, ou presque, est une question de points de vue. Le film met en scène des mondes parallèles et segmentés qui s’éloignent de plus en plus. Alors que les premières scènes montrent une séparation claire et classique entre public et coulisses (Depardon pour 1974, une partie de campagne aurait-il vu le film ?), McKay est perdu dans la foule, souffleté par Jarmon qui accorde à son jeune opposant la même attention méprisante qu’au citoyen lambda ; il fait partie des citoyens, se réclame d’eux. C’est doucement mais sûrement qu’il s’élève, non au sens moral ou charismatique du terme : plus le film avance et plus il s’insère dans les coulisses, les débats de communication, jusqu’à finir seul dans le champ. Cet homme qui allait téléphoner dans les cabines de chantier devient crispé et terrifié à l’idée de faire un faux pas, faussement souriant devant des caméras traquant les rapports de force. La transformation est physique ‑on lui coupe les cheveux, comme à l’armée, déjà évoquée au travers d’une musique de fanfare quasi militaire ; il troque sa veste de cadre moyen pour un costume ressemblant en tous points à celui de son adversaire… mais le tandem Ritchie-Redford ne s’arrête pas au symbolisme primaire. Il poursuit l’altération de leur protagoniste : sa position initiale de retrait et d’intransigeance s’affaiblit, et l’homme qui se présentait pour défendre des problématiques précises (l’avortement, la sécurité sociale) finit par devenir réellement candidat, en acceptant l’approximation dans le mot et dans l’idée. La place du père, ancien gouverneur, refusée de prime abord, est finalement acceptée. La prévention écologique, abandonnée. Et les marginaux défendus disparaissent tout simplement pour laisser la place au gotha du parti démocrate. Des courbures, on passe aux courbettes ; et des pétitions, on passe aux parades.
Au fil de ce Votez McKay, c’est probablement la disparition lente de la parole qui frappe le plus, notamment par le prisme de la télévision, qui ne joue plus le rôle du relais médiatique, mais s’impose comme un monteur : les discours sont tronqués, le sens affadi, phagocyté par l’image. Comme chez Depardon, ce ne sont pas seulement les agents de la communication (journalistes, conseillers, stratèges) qui sont en cause. Ce sont aussi les citoyens qui ne s’intéressent nullement aux débats comme en témoignent cette scène impressionnante où Bill tente, dans un centre commercial, de prendre le chaland à témoin. « Cela ne compte pas, cela ne compte pas » répète-t-il. La défaite est également celle des électeurs qui orchestrent le silence ou le brouhaha. On est loin de la démocratie participative, parce que personne ne souhaite participer réellement. Il devient presque stéréotypé de parler de contemporanéité aujourd’hui. Il est pourtant fort intéressant de constater que les débats sociaux outre-atlantique sont restés les mêmes : le combat principal réside dans la place d’un Etat qui, selon Jarmon, déresponsabiliserait l’individu ou, selon McKay, aurait le devoir d’assistance. Le problème surplombant de l’individualisme, de l’importance accordée à la représentation, sont déjà les clés d’un film qui ne se présente pas autrement que sur le ton de la chronique. Ni grande leçon ni grand retournement ne sont au programme. McKay est obsédé par l’idée d’être utile, par sa mission de service public, et se laisse amollir par les petites compromissions et les demandes d’un public qui réclament plus de jeux que de pain. Il devient tête d’affiche pour être écouté, et en perd son langage. Avant les nombreux films sur la guerre du Vietnam que les années 1970 donneront à voir, Votez McKay avait déjà pour noyau dur l’idée d’une fin de l’innocence. Plus politique que le film suscité de Mike Nichols, il a pourtant le même dénouement en queue de poisson. Après la victoire, le désenchantement. Et le nouveau Kennedy de se demander : « Qu’allons-nous faire maintenant ?»