Il a suffi de quelques semaines pour se rendre compte de l’absence quasi totale des problématiques culturelles de la campagne électorale. Retour sur quelques enjeux…
En ces temps de campagne électorale et de matraquage télévisuel, il semble assez vain face aux divers problèmes économiques et sociaux de se pencher sur le sujet de la culture, rarement évoquée depuis quelques semaines, assez annexe visiblement pour l’ensemble des candidats. Si l’on observe attentivement les différents sites des douze candidats en lice, on peut entrevoir deux tendances générales : d’une part, le résumé systématique des projets politiques est à la mode. Faire court, clair, frappant. Chaque candidat présente sa liste de vœux (mention spéciale à Ségolène Royal qui en possède cent) selon son imagination. D’autre part, on remarque l’absence quasi totale de réels programmes culturels : qu’en est-il du statut des intermittents ? Des aides à la création ? Du problème prégnant de la diffusion dans un certain nombre d’arts, et celui de la présentation au public ? Du statut de l’artiste dans notre société ? Rien, ou presque.
Un amalgame général est en cela particulièrement intéressant : la culture, au sein des différents programmes, n’existe pas vraiment en tant que telle. Elle est systématiquement rattachée à l’école. Culture et école sont évidemment liées, et la plupart des candidats proposent d’ailleurs un retour de l’enseignement artistique dans les classes, de la maternelle à l’université. Y voir un amalgame n’est pas renier l’importance de la question scolaire. On note, par exemple, que dans les quinze propositions « école et culture » de Ségolène Royal, quatorze concernent seulement l’école, une la culture : « soutenir la création et l’emploi culturel ». C’est un peu court, et c’est surtout très vague. Pour Nicolas Sarkozy, la culture doit être « faite pour le peuple ». Le flou artistique semble être le maître mot de tous les programmes sans aucune distinction sur ce point. Aucun chiffrage d’un nouveau budget (François Bayrou indique que l’État n’y consacre que 1% mais ne précise pas la hauteur de l’aide financière), aucune réforme claire du statut des intermittents (Marie-George Buffet veut « rétablir les droits des intermittents »… comment ? en quoi ?). Ségolène Royal, lors d’interviews, a cependant précisé sa pensée en soulignant notamment qu’elle rétablirait les 507 heures. Il faut noter enfin qu’Olivier Besancenot comme F. Bayrou se font les échos des abus de l’intermittence (au sein des chaînes de télévision par exemple). Soyons honnêtes, une thématique revient souvent chez Mme Royal et M. Bayrou : la situation du service public, et la nécessité d’un audiovisuel culturel beaucoup plus ouvert et audacieux. Ségolène Royal a ainsi indiqué qu’elle soutiendrait l’obligation des chaînes publiques de diffuser à des heures correctes (avant deux heures du matin) des émissions de découvertes artistiques.
Par petites touches donc, on assiste à un morcellement des programmes culturels. Le plus intéressant est cette espèce de définition éparse, traditionnelle voire patriotique qui ressort des divers programmes. À l’extrême-droite, on peut voir normalement la culture comme un socle purement national qui doit perdurer. Philippe de Villiers considère que « promouvoir la culture nationale, c’est refuser un enseignement multiculturel ». Outre le fait que son programme nie absolument tous les enjeux de la culture, financier, artistique, ou social, il est clairement centré sur un système de valeurs qui refuse toute perspective d’ouverture et de pluralité. La culture, pour lui, doit être à l’image de la France, homogène et choisie. Passons rapidement sur le chasseur Frédéric Nihous qui a pour simple programme la conservation de la course landaise et des combats de coqs, figures de création et de modernité. Arrêtons-nous cependant un instant sur le programme culturel de Jean-Marie Le Pen : ce dernier a une définition toute particulière de la culture qui n’est pas sans rappeler ses velléités populistes et sa démagogie légendaire. « La vie culturelle souffre d’opacité et de clientélisme (…), on ne sait pas se mettre suffisamment à l’écoute des goûts du public » dit-il. La culture devrait donc être à l’image du public, et il n’y en aurait qu’un seul, une unique pensée à nourrir… On reste songeur si l’on sait que Van Gogh est mort dans une misère noire et que Bresson a été hué en son temps à la sortie des Dames du bois de Boulogne. Exit la volonté de différenciation, exit les particularités et les originalités de chacun (la presse redeviendra « neutre » s’il est élu, comme si liberté d’expression équivalait à la neutralité). Exit aussi une certaine production qui peine déjà à diffuser des films comme Lady Chatterley. Ne parlons même pas de Bamako.
Sans comparer Jean-Marie Le Pen aux autres candidats, on remarque dans les programmes de François Bayrou et de Nicolas Sarkozy un certain malaise à l’égard de la culture, ou plutôt une hésitation constante entre culture et patrimoine. Si ce dernier est le seul instrument valable de culture pour les frontistes, il reste au centre des programmes de centre et de droite classique. La création fait-elle peur ? F. Bayrou la pense nécessaire, comme Ségolène Royal ; N. Sarkozy n’en dit pas un mot. Le candidat de l’UDF se veut l’héritier d’un Malraux (qui récusait absolument la valeur de l’héritage culturel en littérature, soit dit en passant) : comme le candidat de l’UMP, il rappelle, à raison sans doute, la nécessité de mettre en valeur, notamment à l’école, les « grands textes ». Il faudrait déjà savoir qui ils sont. Lire La Fontaine, Rousseau et Hugo sûrement. Mais Quignard ? Et où sont les aides au spectacle vivant ? À la diffusion du cinéma d’art et essai ? Pourquoi la volonté de défendre un patrimoine serait-il incompatible avec la création ?
La culture n’est pas seulement, à l’instar de M. Sarkozy, un objet de fierté nationale ou un moyen de transmission des valeurs. La culture est également un lien social, un lieu de débats et de dialogues, que l’État se doit d’organiser, de respecter, et de développer. Encore faut-il qu’il y ait un public, donc un électorat, donc un intérêt… Y en a-t-il un selon les candidats ? Pas si grand visiblement.