Le cinéma français populaire dans ces dernières tentatives de films audacieux n’a réussi qu’à nous accabler davantage en accumulant les échecs artistiques. Et le succès des comédies télévisuelles et consensuelles n’a rien d’encourageant. C’est pourquoi la réussite de JCVD, film osé et formellement riche, inspire une euphorie un brin exagérée, mais tellement rare qu’il serait dommage de ne pas en profiter. Il fallait au moins ça pour re-crédibiliser Jean-Claude Van Damme…
Un film commercial, c’est souvent une promesse. Celle que l’affiche, les « têtes » d’affiche et la promo télé annoncent : « Bienvenue chez les Ch’tis va vous faire rire, promis ! » Ces films sont bien peu stimulants car ils ne peuvent produire que deux effets : soit la promesse est tenue, alors ils nous rassurent (le bon peuple français dormira sur ces deux oreilles), soit la promesse n’est pas respectée, alors ils déçoivent (un somnifère ne sera toutefois pas nécessaire). Rire de l’accent ch’ti ou ne pas rire du Disco ? C’est peu dire que ce dilemme ne nous touche guère. Heureusement, parfois, un film commercial peut aussi être un pari. Un pari est un programme bien plus passionnant car il est bien plus difficile à tenir qu’une promesse. Un pari, ça se fait dans l’ombre du doute, les sueurs froides et la psychose et non pas dans la formule, les fiches cuisine des comédiens et les préachats TF1. Mais ce qui fait toute sa valeur, c’est qu’il a la possibilité précieuse de nous surprendre, pas seulement nous, les spectateurs, mais aussi lui, le film. Et JCVD est un film très surprenant…
JCVD, movie star sur le déclin, perdu entre ses déboires financiers et son divorce, retourne dans sa Belgique natale pour se ressourcer. À peine arrivé à Bruxelles et pas encore remis du jetlag, il est obligé de se rendre dans un bureau de poste pour intercepter un virement. Cette petite commission routinière va vite dégénérer et tourner à la prise d’otage qui ne sera pas sans rappeler le film de Sidney Lumet, Un après-midi de chien (1976), référence revendiquée. Faire un film avec Van Damme qui ne soit pas un film de Van Damme tandis qu’il interprète son propre rôle, c’est l’un des paris du film. En le propulsant dans un engrenage infernal que sa personnalité (dans tous les sens du terme) va alimenter, il se retrouve au centre de l’histoire, sans que cette dernière tourne exclusivement autour de lui : le narcissisme que laisse présager le titre est complètement désamorcé. Le film oscille donc entre polar décontracté, comédie de situation, drame personnel et questionnement existentiel. Pour que tout cela fonctionne, Mabrouk El Mechri parvient à créer cet espace hétérogène si difficile à rendre dans le cinéma français (souvenez-vous du Pacte des loups en 2001) en privilégiant les plans longs qui étirent la tension, en jouant sur les hors champs pour les effets comiques comme dramatiques, en utilisant la narration fragmentée pour étayer son récit sans que ce soit un gadget narratif. En outre, il ose les choix casse-gueule, comme cette étonnante scène de confession, où Van Damme, face caméra, s’envole littéralement dans les spots light. Ici cohabitent avec une aisance saisissante la noirceur du jeu sec de Zinedine Soualem, l’humour décalé de François Damiens et Karim Belkhadra et le naturalisme propre à l’accent belge, tout en bafouille et chevauchement de phrase façon Strip-Tease. Bel exploit !
Mais qui semble peu de chose comparé à la réhabilitation de Jean-Claude Van Varenberg, dit Van Damme, l’autre grand pari du film. Car concernant ce dernier, perdu entre ses problèmes de drogue et la déflation des films d’action depuis une dizaine d’années, figé entre ses déclarations farfelues et son désir de légitimité, tiraillé entre son égocentrisme et son immense générosité, il y a une moquerie facile que cette impitoyable arène qu’est la télévision ne pouvait pas ne pas nous donner en pâture. C’est devenu le mot d’ordre : rabaisser les petits, ridiculiser les ringards, fustiger les perdants, cibles privilégiées de notre temps, ceux qu’il ne faut surtout pas être. C’est le signe de l’évidente médiocrité de cette époque, la mesquinerie absolue de sa mentalité à laquelle il faut se faire un devoir de ne pas céder. Van Damme, pris dans une cavale sans issue (le film aurait été refusé dans de nombreux festivals en raison de son nom), aura beau exhiber tous ses progrès en tant qu’acteur (et un peu moins ses biceps), rien n’y fait. Qu’il sache jouer, c’est ce que nous savions déjà depuis un moment (depuis ses prestations chez Ringo Lam). Ce que JCVD nous révèle, c’est qu’il peut être carrément bouleversant, dévoué corps et âme à son rôle, prêt à se mettre à nu, esclave conscient de son désir de reconnaissance, toujours en dessous de son personnage, fut-ce lui-même. Le contraire d’une movie star en somme…