Depuis vingt ans, l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion épaule les films d’auteur dans leur accès à la salle. Exploitant après exploitant, ville après ville, elle s’appuie sur une touchante solidarité entre les cinéastes, tous bénévoles, qui s’engagent en son sein. Nous avons rencontré Pascal Deux, réalisateur soutenu il y a dix ans pour son film Noble art, et ancien co-président de l’association. Il retrace avec nous les évolutions connues par l’ACID depuis vingt ans, son vécu, et nous détaille le travail de fourmi accompli par bénévoles et permanents, contre les vents et marées de la distribution hexagonale, tout au long de l’année.
NDLR : Nous enrichirons dès que possible cette interview avec l’apport de Fabienne Hanclot, déléguée générale de l’association.
Pouvez-vous nous parler de la distribution de votre film, Noble art ?
Noble art s’inscrit dans le cadre des films sélectionnés à Cannes, qui ont trouvé un distributeur parce qu’ils ont été amenés à la salle par l’ACID. En effet, une fois par an depuis 1993, l’ACID présente neuf films à Cannes. La plupart n’ont pas encore de distributeurs, et il y en a généralement un ou deux qui en ont déjà un mais dont la sortie arrive rapidement, et pour lesquels Cannes va servir de caisse de résonance. Dans mon cas personnel, j’avais un film que j’avais tourné avec une petite caméra numérique, ce qui était assez nouveau à l’époque. Et pour faire le film, les réponses des producteurs et des diffuseurs venant trop lentement, j’ai décidé de le produire moi même et donc de créer une société de production Buddy Movies, avec laquelle j’ai depuis également produit des films d’autres réalisateurs. Je me suis retrouvé avec un film que je ne savais pas comment présenter aux distributeurs . Avant Noble art, j’avais eu un parcours d’assistant réalisateur (Truffaut, Rivette, entre autres) et de court-métragiste, ce qui fait que je connaissais pas mal de choses sur la « fabrication » des films, mais en revanche j’étais totalement ignorant de tout ce qui touchait à la diffusion ou la vente. C’était très difficile de montrer mon film d’autant que je voulais le présenter en 35mm ; j’organisais des projections, je louais la salle, quelques distributeurs m’assuraient de leur venue puis annulaient au dernier moment… Bref, la galère. Tout a changé lorsque à l’une de ses projections un réalisateur de l’ACID, Djamel Ouahab, qui était présent dans la salle et que je ne connaissais pas, a beaucoup aimé Noble art. Il a désiré le montrer à l’association, qui ensuite a choisi de le soutenir et de l’emmener à Cannes.
Comment s’est passé le passage au festival ?
Même si je me battais et ne lâchais rien, c’était un film que je commençais à désespérer de voir sortir en salles. Imaginez que l’unique copie était chez moi, sous mon lit, comme dans un caveau ! Alors être à Cannes, avec l’ACID… d’un seul coup, j’ai eu le sentiment d’une main tendue, une main tendue par d’autres cinéastes. Puis il y a eu quelques beaux papiers, je n’irais pas jusqu’à dire un buzz… mais au retour de Cannes on a pu réorganiser une projection avec des distributeurs que l’ACID a réussi à convaincre de venir voir le film. Xavier Irigoyen, qui travaillait pour Tadrart a aimé et convaincu Jean Bréhat et Muriel Merlin de prendre le film. C’est un cas somme toute assez significatif de la façon dont ça se passe pour les films sélectionnés à Cannes.
Et une fois que le distributeur vous a contacté ?
Entre ce qu’était l’ACID à cette époque et maintenant, il y a quand même un monde. Mais à cette époque-là j’ai déjà eu beaucoup de chance : il y a des cinéastes qui ont écrit sur mon film, les permanents de l’association m’ont donné des conseils sur les rapports entre un cinéaste et un distributeur, rapports qui ne vont pas forcément de soi, car la distribution est une phase où les cinéastes – du moins c’était mon cas – ont vraiment l’impression que le film leur échappe… et puis l’ACID sur le terrain a fourni une aide à la programmation non négligeable. Cela étant, pour avoir été président de l’ACID pendant trois ans, je dois dire qu’on a maintenant une action beaucoup plus opérante sur les films. C’est aussi parce qu’on a analysé les difficultés qu’ils rencontraient.
Pouvez-vous nous détailler les évolutions qu’a connues l’ACID depuis sa fondation ?
Grosso modo quand les « pères fondateurs » ont créé l’ACID, ils se sont rendus compte que des films qui rencontraient leur public en salle étaient éjectés au profit de films au schéma de sortie plus conséquent, en dépit de leurs bons résultats. Même quand ils marchaient bien, ça ne les empêchait pas d’être éjectés au profit d’autres films qui appartenaient à des réseaux plus puissants ou qui étaient supposés a priori mieux marcher. L’autre problème était qu’à cette époque les exploitants avaient aussi des difficultés pour accéder aux copies. C’est pourquoi au départ, une des actions inaugurales de l’ACID a été d’organiser des pré-visionnages en région avec des cinéastes qui n’étaient pas les auteurs, mais ceux qui soutenaient les films, en présence de vingt, trente, quarante exploitants. À partir du moment où il y avait un certain nombre d’exploitants convaincus, l’ACID pouvait organiser des circulations de films et même faire tirer des copies supplémentaires grâce à l’ADRC. C’était assez idéal, en ajoutant à cela l’action d’animation avec les débats avec les auteurs, etc. L’association a, au fil des années, modifié et beaucoup étoffé son action en fonction des difficultés rencontrées, certaines étant toujours un peu les mêmes et d’autres nouvelles problématiques surgissant : par exemple ces dernières années ce sont les distributeurs qui peinent à trouver des salles pour montrer les films. Et encore d’autres problématiques comme avec l’arrivée de la diffusion numérique par exemple. Bref, l’ACID essaie et se doit de se remettre en question et s’adapter en permanence… par exemple en adjoignant à son action d’animation en salles d’autres types d’actions ou d’évènements : une action pédagogique avec les séances scolaires, des ciné-concerts, des lectures, et un travail en réseau avec toutes sortes d’associations qui partagent notre engagement…
Quel est le processus de sélection des films soutenus à l’ACID ?
Il y a Cannes et le soutien classique le reste de l’année. À Cannes, il y a un groupe assez étendu de cinéastes qui fait une présélection extrêmement large. On reçoit de plus en plus de films, ce qui devient un réel problème pour une structure comme la nôtre somme toute assez petite : c’est la rançon du succès. Au total, il y a entre vingt et trente cinéastes qui présélectionnent cinquante à soixante films. C’est une sélection ouverte, généreuse, le principe n’est pas de se dire « est-ce que j’aime ce film, personnellement » mais plutôt « est-ce que j’y vois un intérêt, est-ce que quelqu’un aura envie de défendre », de la même façon qu’on peut reconnaître le talent d’un peintre sans être touché personnellement par son œuvre. À titre personnel je me méfie de la notion de radicalité, parce que je trouve que chacun a sa vision de la radicalité, et qu’il peut y avoir aussi un conformisme dans la radicalité ! Mais je vais vous donner un exemple. Lorsque l’ACID a décidé de soutenir Twentynine Palms de Bruno Dumont, il y avait des cinéastes qui adoraient, d’autres moins. Mais il y avait quand même une évidence, c’est que nous avions un sacré cinéaste, et que dans la mesure de nos moyens nous devions aider à montrer son travail. Ce qui est intéressant c’est que l’ACID, de cette façon, raconte autre chose que la ligne éditoriale d’un seul cinéaste qui préside un comité de sélection. C’est l’idée de montrer qu’il y a des films passionnants qui se retrouvent face à un mur : soit en ne trouvant pas du tout de distributeur, soit en sortant dans des conditions épouvantables.
Et pour le reste de la sélection ?
Dans l’année, l’ACID organise des projections, une fois par moins environ, le samedi, avec entre trois et cinq films par séance. Ce sont des films qui ont déjà un distributeur. Une chose importante, c’est qu’il n’y a pas de filtrage de la part des permanents, les cinéastes voient vraiment tout ce qui est proposé. On essaie de voir les films deux à trois mois avant leur sortie pour avoir au moins une douzaine de semaines qui nous permettent de faire un réel travail autour du film. Ce travail que nous sommes maintenant en mesure de fournir prend un temps qui exige de prendre les films suffisamment en aval. Une condition sine qua non, c’est l’engagement des cinéastes. Nous ne sommes pas un guichet au même titre qu’une aide du CNC ou une SOFICA. Nous avons besoin de cinéastes engagés pour voir les films et les soutenir. Il y a une philosophie de l’action de l’ACID. Nous privilégions ce que nous appelons une minorité agissante, plus prosaïquement un groupe de cinéastes actifs, prêt à donner plus que leur voix, leur implication, une action concrète. Prêts à s’engager vraiment !
L’ACID se pose d’ailleurs régulièrement la question suivante : doit-on soutenir un cinéaste s’il ne vient pas ensuite passer le relais ? C’est un vieux débat très vif au sein de l’association. Pour moi, mais tout le monde, loin de là, ne partage pas mon opinion, c’est une question de morale personnelle : certes on est libre de venir ou non, mais un cinéaste qui ne vient pas du tout, je trouve que c’est un peu petit, et puis c’est à cette condition là qu’on injecte du sang neuf au sein de l’association. Je dois dire que je suis assez content de voir un vrai renouvellement des membres de l’ACID. Il passe déjà par ce qu’il se passe à Cannes, puisque c’est le moment où les cinéastes prennent le mieux conscience du soutien qui leur est apporté. Il y a quelque chose, concrètement, de très fraternel qui s’y joue. Ces dernières années de plus en plus de gens, de plus en plus jeunes, viennent. Il y a un rajeunissement, qui rajeunit aussi la façon de faire, etc. J’ai été président pendant trois ans et demi. J’aurais pu me représenter mais je me suis dit que c’est absurde parce que je crois qu’il est important de passer ce relais. C’est compliqué parce que les plus anciens ont toujours l’impression qu’il y a un héritage à reprendre, mais en même temps il faut accepter que l’ACID appartient à ceux qui le font.
Connaissez-vous le schéma de sortie des films au moment de leur candidature ?
Pour ceux qui n’ont pas de distributeur, évidemment non. Sinon, en général on sait peu de choses, on connait la date de sortie à deux ou trois semaines près mais pour la combinaison de sortie, on n’a qu’un ordre d’idées. Après il faut deux étapes : d’abord qu’un cinéaste s’engage à le défendre, puis nous organisons une rencontre avec le réalisateur et le distributeur pour discuter ensemble de comment les choses pourraient se faire. Le soutien n’est véritablement acté qu’après cette rencontre. C’est un moment où le cinéaste peut échanger avec ceux qui le défendent et aussi un moment où il remet les choses à plat avec son distributeur, étant parfois extrêmement novice dans ce relationnel même s’il n’y a pas de conflit.. On joue une sorte de rôle de médiateur à ce moment-là.
Est-ce qu’il y a des cas où les films ne fonctionnent pas et les exploitants se désengagent ? L’ACID a‑t-elle, vis a vis des salles membres, une sorte d’engagement de résultats ?
Ça fait quand même longtemps qu’on sait que les films soutenus impliquent une façon de faire assez différente, qu’on doit retravailler sur chacun d’entre eux, et que souvent il n’est par exemple pas la peine de les programmer à plus d’une séance par jour dans un cinéma. On travaille aussi sur des films pris par les exploitants deux, trois, voire cinq mois après la sortie, même au moment du DVD, et qui parfois marchent très bien sur ce planning là. C’est assez particulier et on a des salles qui ont compris qu’avec nous, il ne fallait pas avoir peur de travailler de cette façon, aussi grâce à notre action sur le terrain. D’autres évidemment sont plus frileuses, il faut donc réussir à les convaincre.
Que ressentez-vous vis a vis du catalogue de films soutenus durant ces vingt ans ?
Beaucoup de fierté… Je trouve que la liste des films soutenus au fil des années propose une belle diversité inouïe : Naomi Kawase, Avi Mograbi, Jacques Nolot, Sokourov, les frères Larrieu… on aime ou on n’aime pas, mais ce sont des trajectoires d’artistes passionnantes. Cela me fait penser à une interview de l’éditeur Paul Otcharsky Laurens que j’ai lue récemment. Il disait que le rôle d’un éditeur c’était de publier des livres que les lecteurs n’attendaient pas. J’ai trouvé ça formidable comme démarche. C’est sûrement quelque chose que nous tentons de faire à notre manière : mettre en avant des films que les spectateurs n’attendent pas forcément au départ, mais qui ensuite vont leur réserver de belles surprises. Au fil des années l’action de l’ACID s’est compliquée et a pu donner l’impression de se radicaliser sur les petits films mais c’est aussi parce qu’on s’est rendu compte que les films qui sortaient au delà de 40 copies, notre aide était peu opérante. C’est à dire qu’on leur apportait une aide symbolique alors que sur des plus petits films, l’ACID pouvait non seulement faire tirer cinq copies supplémentaires mais aussi apporter une aide vraiment significative avec nos différentes actions d’accompagnement. Je pense par exemple à Quand la mer monte de Gilles Porte et Yolande Moreau…
C’est-à-dire qu’à l’intérieur de cette diversité, nous avons tout de même l’impression que la sélection entretient une forme d’engagement, qu’il soit directement politique, ou formel : il y a assez peu de comédies ou de films de genre par exemple.
C’est une remarque indéniable. D’ailleurs je trouve qu’historiquement quand on regarde la liste on constate un glissement dans cette direction là. J’ai une idée personnelle là dessus, je ne veux pas nécessairement représenter l’ACID avec. Mais à mon avis, c’est sûr qu’on veut en priorité défendre un cinéma qui explore, qui prend des risques, bref qui est libre. À tous points de vues, c’est une position qui nous traverse quelles que soient nos différences de sensibilités. Après, sur la question des comédies et des films de genre, il n’y a pas du tout de position contre ça, mais c’est une absence qui a sans doute ses raisons plus en amont, au niveau des films produits. Vu que nous avons décidé de ne défendre que les films qui sortent sur moins de quarante copies, les films de genre, qui généralement sortent sur des combinaisons de copies plus importantes, sont moins concernés. C’est une réalité de la production avant d’être une réalité de la sélection de l’ACID. Ce n’est pas un choix. Mais d’une certaine manière c’est une situation que je regrette. Parce que je me pose parfois la question : est-ce que tel film, que l’ACID défendait il y a dix ans, pourrait encore être défendu aujourd’hui ?
Par exemple ?
Par exemple, Marius et Jeannette. Ce sont des films qui ne nous arrivent plus, parce qu’ils ne sortent pas sur les combinaisons de copies sur lesquelles on travaille maintenant. Et c’est tant mieux pour eux du reste ! Il n’a plus ou pas besoin de nous. C’est aussi la raison pour laquelle l’ACID soutient beaucoup de premiers films et n’est pas nécessairement disposée à soutenir un cinéaste dans la durée : j’ai par exemple soutenu un film très beau de Nuri Bilge Ceylan en 2002, Uzak. Il a dû faire, peut-être, quelques milliers d’entrées. Depuis, Nuri Bilge jouit d’une immense réputation dans les festivals, a des prix à Cannes… Fort de ceci, il ne propose bien sûr plus ses films à l’ACID.
On remarque quand même que certains noms reviennent souvent, comme celui de Robert Guédiguian par exemple.
Oui mais Guédiguian, ça fait très longtemps qu’il ne nous a pas proposé un film !
Oui, on parle plutôt sur les vingt ans.
Mais voilà ! Je suis arrivé à l’ACID en 2003, et je crois que c’est à ce moment là que l’ACID a connu ce tournant. La rétrospective à la Cinémathèque montre bien ces grands auteurs qui ont fait une très belle carrière depuis leur soutien à tel point qu’ils n’ont plus besoin de proposer leurs films : Abdellatif Kechiche, Claire Simon, Robert Guédiguian…
Quels sont les combats politiques de l’ACID ?
L’ACID s’est battue à moment donné pour créer ce qu’on a appelé un coefficient industriel, qui répondait à tous ces déchirements considérables au sujet de l’art et essai. Comment peut-on dire que Woody Allen ce n’est pas de l’art et essai ? Évidemment on ne dit pas que Woody Allen, ou Martin Scorsese, ne sont pas des auteurs, mais on dit simplement que ce n’est pas la même chose de sortir un Woody Allen qu’Avant que j’oublie, le sublime film de Jacques Nolot. La salle a plus de difficultés sur des films qui ne bénéficieront pas d’un budget de sortie important, avec le budget de promotion qui va avec. On a donc proposé d’aider les salles qui travaillent sur les films qui correspondent à certains critères, tels qu’un plafond de budget de sortie, de copies… Est-ce qu’on peut encore dire que Scorsese fait un « essai » maintenant, sans pour autant nier bien sûr qu’il soit un grand artiste ? La même année, il y avait aussi en classement art et essai Shrek, Un long dimanche de fiançailles, Million Dollar Baby… Pour les exploitants, travailler sur ces films ou sur un film d’Alain Raoust, c’est le jour et la nuit. Il nous semble que ce critère n’est pas le plus adapté à la situation et qu’un coefficient industriel permettrait de mieux aider les salles qui travaillent avec le plus d’exigence.
L’ACID pourrait-elle améliorer son action avec de plus grandes ressources financières, et par exemple en rétribuant les cinéastes ?
Nous sommes attachés à la gratuité et au bénévolat dans le cadres de ce que nous faisons dans l’enceinte de l’ACID, lors des visionnements, de nos réunions de réflexion et de notre engagement militant. Mais pas partout ! Nous nous battons pour que les débats animés par des cinéastes soient rémunérés. Souvent, ils doivent combiner un engagement bénévole avec une vie d’intermittent, ce qui est d’autant plus difficile avec les réformes conduites ces dernières années. Ce sont des gens qui travaillent, qui font des kilomètres et sacrifient beaucoup de leur temps pour aller défendre plus qu’un film une certaine idée du cinéma, et nous voudrions que ce soit pris en charge, par un cachet. C’est le cas en région Île-de-France grâce à un partenariat établi à l’époque où Francis Parny était le vice-président à la culture. On voudrait exporter ce modèle là dans toutes nos interventions d’animation. On envisage beaucoup de choses, se mutualiser avec les distributeurs, les régions… mais c’est compliqué. Nous avons écrit sur cette question un texte qui est lisible sur le site de l’ACID. Et en dehors de ça, je souhaite que mon engagement de cinéaste au sein de l’association reste bénévole. Mon métier c’est cinéaste, pas membre de l’ACID ! C’est à cette condition aussi qu’on a un engagement fort des cinéastes, et non pas une tablée de gens irrésolus ou velléitaires sur les films. Je pense que cela compte beaucoup pour nos amis exploitants. Après, c’est vrai qu’on serait aussi contents d’avoir plus de place dans nos bureaux, plus de salaire pour les permanents, et surtout une salle, un lieu à nous où montrer les films, notre grand projet !
Pouvez-vous nous parler du réseau ACID spectateurs ?
La création de ce réseau vient d’une idée de l’actuelle co-présidente de l’ACID, Mariana Otero, comme le coefficient industriel d’ailleurs, et de la constatation éprouvée par de nombreux cinéastes membres de l’ACID qui, venus par exemple défendre un film de très petite envergure dans une salle assez excentrée, ont plusieurs fois remarqué la présence de spectateurs très actifs dans la discussions, qui venaient même à leur rencontre après le débat pour demander : « Pourquoi ce film ne passe qu’ici, il était très bien !» « Pourquoi je n’en ai jamais entendu parler ?» On s’est donc dit qu’on pourrait s’appuyer des spectateurs-sentinelles, qui relaient, font marcher le bouche à oreille, et qui avec nous s’opposent à ce vieux poncif d’un cinéma intello qui ne plairait pas au public, auquel nous n’avons jamais cru. On se retrouve ainsi avec cinquante, soixante personnes dans une salle où auparavant, on en aurait eu dix. Au début on a cru qu’on aurait deux, trois spectateurs par région, et on se retrouve maintenant avec deux ou trois cents membres dans le réseau. Il y a des retraités, des professeurs, quelques jeunes, et surtout principalement des femmes. Et encore une fois, comme pour les cinéastes, leur engagement est actif, fort. Par exemple, on a eu un débat en interne sur la cotisation annuelle, dont certains estiment qu’elle devrait être gratuite. Pour moi, non : donner deux euros, c’est symbolique, mais je suis dans la croyance que ça signifie quelque chose de fort, un engagement personnel.
Ce sont des rencontres fortes, ces débats en salle ?
Il s’y joue une espèce de citoyenneté artistique extrêmement féconde. Même sur un film comme Noble art, qui n’est pas militant, c’était touchant de voir les gens s’exprimer. Ce sont donc des moments où l’on voit des personnes se jeter à l’eau, et cela donne des instants très émouvants. Dans la société dans laquelle on vit il n’y a plus pour les gens tellement d’opportunités de prendre la parole en public et de la faire circuler… Évidemment il y a des gens qui militent, qui vont dans des meetings politiques, et caetera, mais le faire de s’exprimer et d’échanger ensemble autour d’un geste artistique, c’est assez fort, parce que ça déborde toujours. Ça déborde sur l’intime, sur la passion.
Pour finir : quel est votre meilleur souvenir à l’ACID ?
Sans aucun doute, ma découverte d’Histoire d’un secret de Mariana Otero. Je me suis assis dans la salle de projection sans rien savoir du film que j’allais voir, et dès les premières images j’ai été ébahi par la beauté étincelante, tantôt sèche, tantôt quasi lyrique de ce film superbe qui allait changer ma vie…