Écrivain et journaliste, Sylvain Estibal sort cette semaine son premier long-métrage, Le Cochon de Gaza, fable tragi-comique autour du destin hilarant d’un animal honni des musulmans comme des juifs. Entretien avec un jeune réalisateur dont on applaudit l’humour.
Le Cochon de Gaza est votre premier film… Racontez-nous votre parcours avant d’en arriver là…
On peut dire que j’ai plusieurs parcours en parallèle ! Je travaille pour l’Agence France Presse (AFP) en Uruguay – Montevideo est le siège de l’AFP Amérique du Sud –, je fais de la photo, j’écris. J’ai publié des entretiens avec Théodore Monod sous le titre Terre et ciel, plusieurs livres de voyages et de photos, ainsi qu’un roman Le Dernier Vol de Lancaster, en 2003. Il a été adapté au cinéma, sous le titre Le Dernier Vol (Karim Dridi, 2009) avec Marion Cotillard et Guillaume Canet. C’était mon premier contact avec le milieu du cinéma ; je n’en parle pas beaucoup car je trouve le résultat plutôt médiocre… Toujours est-il que ça m’a donné envie de passer moi-même derrière la caméra ! J’ai réalisé deux courts métrages et maintenant ce premier long.
Pourquoi vous êtes-vous attaqué à ce sujet plutôt délicat ?
La naissance du projet est liée un peu inconsciemment à une image très forte de Montevideo : avant la période de l’Aïd, des tonnes et des tonnes de moutons uruguayens sont chargés sur des bateaux à destination du Maghreb et du Moyen Orient… On sent l’odeur dans toute la ville, c’est très impressionnant. Je ne sais pas pourquoi, mais cette image s’est étrangement amalgamée avec une histoire qu’on m’avait raconté, à propos de cochons élevés en Israël sur des estrades… Et l’idée s’est construite comme ça, autour des images d’animaux. J’ai trouvé intéressant de faire de cet animal, le cochon, que les deux camps rejettent, une passerelle, un véhicule de la paix.
Faut-il être « de là-bas » pour filmer ce pays, et, partant, ce conflit ?
Ça a été très compliqué pour le montage financier du film ! On considère qu’on n’est pas légitime, qu’il faut être originaire de là-bas pour avoir le droit de faire un film sur cette région, c’est absurde… Chaplin a fait Le Dictateur et il n’est pas juif ! Même si je évidemment je ne me compare pas à lui…
Vous avez travaillé en Israël et en Palestine ? Dans quelles conditions ?
J’avais déjà travaillé sur un projet à Hébron, en Cisjordanie. Il s’agissait, pendant un an, de confier un appareil photo à une famille de colons juifs et à une famille d’Arabes qui vivaient à cinq mètres l’un de l’autre… et de voir quelles images allaient en ressortir. C’était passionnant de suivre de quelle façon les préjugés tombaient assez naturellement au fur et à mesure qu’elles faisaient connaissance. Nous avons fait une exposition à Tel-Aviv, puis à Visa pour l’image à Perpignan, nous avons été sélectionnés pour le prix Bayeux des correspondants de guerre… Les images présentées étaient différentes de celles que nous voyons habituellement du conflit. La perception de la réalité en est à la fois plus précise et moins spectaculaire que l’info, l’actualité…
Où s’est déroulé le tournage ?
À Malte. Et en studio pour tous les intérieurs. Il y a une communauté palestinienne importante à Malte, et beaucoup nous ont dit que les paysages maltais sont crédibles en bande de Gaza ! La postproduction a été faite avec des Gazaouis, certaines voix aussi, des figurants. En tout, il y avait vingt nationalités sur le tournage… avec parfois quelques tensions !
Avez-vous écrit le scénario seul ?
J’ai monté une collaboration artistique avec Myriam Tekaïa, l’actrice tunisienne qui joue Yelena l’Israélienne. Il s’agissait de ne pas commettre d’impair et de rester réaliste, de ne pas véhiculer une image complètement clichée du monde arabe tout en gardant le ton du conte et l’identification du spectateur aux personnages.
Le ton du film navigue entre absurde et farce et en fait une fable tragi-comique. Avez-vous trouvé ce ton de façon évidente ?
C’est venu comme une sorte de rage, de désespoir devant la situation et de l’envie de transformer cette rage en force comique. Je voulais secouer toute la complexité du conflit mais sans opter pour un règlement de comptes. L’idée était de montrer l’absurdité de la situation en poussant l’absurdité encore plus loin, de faire rire pour faire bouger les esprits. Mais même de dire ça, c’est compliqué ! J’ai pu être soupçonné de vouloir manipuler le spectateur, ce qui est un contresens terrible !
Pourquoi ce soupçon ?
Le fait par exemple que j’ai voulu croiser les identités, de prendre Sasson Gabay l’Israélien pour jouer un Palestinien ou Myriam, qui est tunisienne, pour jouer une Israélienne… Pour moi c’était simplement une façon de brouiller les pistes pour ramener l’opposition entre les deux peuples au niveau d’un être humain. C’était presque de la survie, une façon de dire « arrêtons de parler des grandes théories et rassemblons-nous ».
Quels sont les films sur Israël et la Palestine que vous aimez ?
Il y en a tant ! Des films comme Ajami (Scandar Copti et Yaron Shani, 2010), sur ce quartier cosmopolite où cohabitent les religions et les peuples, ou La Visite de la fanfare (Eran Kolirin, 2007), dans lequel j’ai découvert Sasson Gabay. Dans un autre genre, Intervention divine d’Elia Suleiman (2002), pour son côté surréaliste qui vient s’immiscer dans la réalité. J’aime la façon dont il pousse l’absurdité d’un degré supplémentaire.
On a le sentiment que les choses évoluent peu à peu, entre ce mouvement des indignés israéliens et cette volonté de faire reconnaître un État palestinien à l’ONU…
Oui, c’est ce que tous disaient sur le tournage, ils ont envie que les choses changent. Ça m’a conforté dans l’idée que ce conflit est rejeté, qu’il existe une réelle volonté des deux peuples d’avoir un futur en commun, ou en tout cas en parallèle… Quand on voit comment on peut passer de l’arabe à l’hébreu et que les gens se comprennent et la proximité culturelle qui lie les deux peuples, on ne peut que faire le constat d’un même ras-le-bol des deux côtés.