Rencontre avec le réalisateur sri-lankais Vimukthi Jayasundara à l’occasion de la sortie de Chatrak, présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2011. Son film précédent Entre deux mondes (2009) sortira également en France prochainement.
Vous êtes très lié à la France, comment votre parcours artistique vous a‑t-il mené jusqu’ici ?
C’est assez compliqué. En fait, j’ai réalisé The Land of Silence (2002) qui a été présenté notamment au FID à Marseille. Puis, je suis venu étudier au Fresnoy (Le Fresnoy Studio National des Arts, ndlr) et j’y ai réalisé un court métrage, Vide pour l’amour (2002), qui a été présenté à Cannes en 2003 dans le programme des courts métrages sélectionnés par la Cinéfondation. La même année, je suis devenu résident de la Cinéfondation à Paris. Là, j’en ai profité pour voir beaucoup de films, me promener, visiter la ville et j’ai écrit mon film La Terre abandonnée qui a été présenté à Cannes dans la section Un Certain Regard (Caméra d’or, 2005, ndlr).
Est-ce que le fait d’avoir écrit plusieurs films en France, loin du Sri Lanka, influence votre manière d’aborder vos sujets ?
J’aurais pu écrire mes scénarios n’importe où, mais le fait d’être éloigné de mon pays m’a permis de prendre un peu de distance. Comme vous l’aurez noté, mes films ne font pas référence de manière explicite à une situation ou à un contexte précis, il s’agit plus de prendre de la distance et de rendre un propos universel.
« Chatrak » signifie « champignon », est-ce que vous pourriez expliquer ce titre ? Est-ce qu’il revêt une dimension symbolique particulière ?
Non, pas particulièrement. Au début du film, l’un des personnages mange un champignon dans la forêt… Vous savez, je ne veux pas faire la promotion de la drogue en général, mais j’aime bien l’idée que certaines substances nous permettent l’évasion et nous offrent la possibilité d’explorer d’autres espaces, d’autres réalités. Donc le fait de prendre des champignons hallucinogènes permet aux personnages de pénétrer dans un autre espace…
… et de tomber dans un trou qui les fait passer du jour à la nuit ?
(rires) Oui c’est ça.
Ce même personnage, un jeune homme qui vit dans l’arbre…
Vous pouvez l’appeler « le fou »…
Mais il n’est pas si fou que ça ?
Non. En effet.
Alors ce personnage qui vit dans les arbres, est-il issu d’un mythe ou du folklore local ? Comme dans le célèbre film de Mani Kaul, Duvidah, inspiré d’une légende du Rajasthan, où un homme vit sur un arbre ?
Je suis flatté par la référence à Mani Kaul mais ce personnage n’est pas issu d’une légende ou d’un conte, il s’agit plutôt pour moi d’un personnage très cinématographique, une figure qui traverse le cinéma. On pourrait le rapprocher de celui de L’Enfant sauvage de François Truffaut. Ce sont des êtres qui ont vécu à l’écart de la société, dans la forêt en l’occurrence, loin de tout et de tous, qui se développent seuls. C’est un sauvage.
Mais son frère, un architecte, cherche désespérément à le retrouver. Et Chatrak fonctionne principalement par binômes : le jeune fou et son frère, l’architecte et sa femme, etc… Mais malgré cela, ce qui est frappant, c’est que vos personnages ont du mal à être ensemble.
Oui c’est vrai ! C’est marrant que vous ayez noté que le film fonctionnait par couple, par duo, mais c’est ainsi. Oui, ils ne parviennent pas à communiquer mais surtout ils ne savent pas quoi faire l’un pour l’autre. Ils ressentent de l’empathie pour l’autre mais sont empreints d’une forme de maladresse lorsqu’il s’agit de l’aider.
Toutefois, le film propose un autre duo fonctionnant différemment. Il s’agit d’un père fier de son enfant qui aimerait l’aider à réussir.
Oui, mais dans ce cas non plus le père ne sait pas vraiment comment aider son jeune fils : il ne le comprend pas, il ne sait même pas exactement ce qu’il fait en matière d’informatique. Mais il va quand même trouver l’architecte pour lui présenter son fils tout en ne sachant pas quoi lui dire. On retrouve le père à la fin du film et l’on découvre qu’il était également intéressé puisqu’il demande une faveur à l’architecte. Son acte n’était pas gratuit.
À la fin du film, l’architecte se suicide en se jetant de l’immense tour à étages qu’il était en train de construire. Est-ce qu’il s’agit d’une prise de conscience de la défaillance de ce type de construction, favorisant l’isolement et l’individualité et qui contraste fortement dans le film avec le monde de la forêt où vit le jeune fou ?
Tout d’abord, je voudrais dire une chose très importante : pour moi l’architecte ne se suicide pas ! Il est vrai qu’il se jette de l’immeuble, mais ensuite il continue à parler donc ce n’est pas vraiment une mort ! Cette conception est liée à ma culture. Dans les films occidentaux, je n’aime pas du tout lorsque l’intrigue se termine par la mort du protagoniste, et que cette mort marque la fin de quelque chose. On nous dit « le personnage est mort, voilà c’est la fin du film ! ». Dans ma culture, la mort n’est pas une fin en soi mais une étape. Nous continuons, d’une certaine manière, à vivre avec les personnes décédées. Alors pour répondre à votre question : oui, l’architecte se rend compte d’un dysfonctionnement, d’un échec du type de construction auquel il travaille. Mais le saut peut également être lu comme le passage à autre chose, à la nouveauté. Cette chute marque en effet une rupture, il est vrai, mais c’est également la possibilité d’un renouveau.
Et dans cette scène finale, il se retrouve nez à nez avec une tortue, animal pour le moins évocateur …
(rires). Oui, la tortue porte sa maison sur son dos donc c’est un modèle de cloisonnement, mais également d’indépendance car elle n’a pas besoin de construction pour se loger…