Voilà dix ans que Billy Bob Thornton n’était pas repassé derrière la caméra. Lui qui avait juré qu’on ne l’y reprendrait plus après la mauvaise aventure de son deuxième long métrage, De si jolis chevaux, où il avait finalement renoncé à son director’s cut, semble avoir trouvé un compromis avec un producteur russe. Pas pour le meilleur au vu du résultat, puisqu’en dépit d’un casting de haut vol, Jayne Mansfield’s Car se perd en détours et livre un portrait de famille chaotique.
Billy Bob Thornton retrouve pourtant les décors qu’il affectionne, ceux du Sud aride de l’Amérique et de ses haines fratricides. En 1969, l’Alabama est encore une terre d’anciens confédérés et le vieux Jim Caldwell (Robert Duvall, parfait en patriarche acariâtre) clame à qui veut l’entendre son mépris des « Yankees ». Ses trois fils font ce qu’ils peuvent pour faire face à cette haute autorité paternelle, l’un en le plaçant sur un piédestal (Jimbo, Robert Patrick), les deux autres, vétérans marqués par le souvenir de la guerre, cherchant en vain à percer sa carapace pour récolter un peu d’affection. Kevin Bacon et Thornton lui-même incarnent Carroll et Skip, les fils réfractaires, le premier voué au LSD et au mouvement hippie, le second à la musique psychédélique et à sa collection de voitures. Mais voilà qu’un soir où le souper est servi par la brave domestique noire, les fantômes du passé refont surface. Jim apprend que sa femme qui l’a quitté voilà des années, abandonnant du même coup leurs quatre enfants, vient de mourir en Grande Bretagne et sera enterrée dans sa ville natale selon son souhait. Son mari, Kingsley Bedford (le délicieux John Hurt, parfait gentleman face à un Duvall en redneck rustique), et ses enfants (Ray Stevenson et Frances O’Connor) s’apprêtent à débarquer en Alabama pour organiser les funérailles. Horrifié à l’idée de se retrouver face à son rival, le vieux Caldwell réunit toute sa tribu et se prépare à l’invasion de la perfide Albion sur ses terres.
Passé les joutes conventionnelles où le pâlot et distingué Kingsley Bedford s’émeut des manières de son hôte, le choc des cultures se mue bientôt en conflit de générations. Tandis que leurs enfants se découvrent des points peu communs (Skip convainc facilement sa cousine anglaise de se prêter à ses jeux litt-érotiques) ou des passions adolescentes – Donna, la seule fille du clan Caldwell (la pétillante Katherine LaNasa) trompant un mari balourd avec Phillip, preux chevalier en costume trois pièces –, les deux chefs de clans s’apprivoisent. Ils finissent même par trouver une certaine entente mutuelle en partageant la déception qu’ont été leurs enfants respectifs : hommes inaccomplis, soldats sans bravoure, fils sans ambitions. Loin du registre psychologique du film de famille, le fantôme de la femme/mère aimée est bien vite oublié pour laisser place à des préoccupations plus actuelles : la guerre du Vietnam qui déchire la société américaine et la famille Caldwell, les uns défendant un héroïsme d’un autre âge et les autres apprenant à leurs dépens qu’aucune guerre n’est « morale » dans un monde désenchanté. Mais de détour en détour, Thornton perd le fil de son portrait de famille et accumule les détails sans vraiment travailler ce qui lie ses personnages. Duvall et Hurt ont beau être excellents, Bacon plus que crédible en hippie concerné par l’avenir de son fils, LaNasa touchante en ex-miss Alabama rattrapée par le temps, et Ray Stevenson impeccable en Britannique maniéré, la mayonnaise peine à monter.
L’ensemble est plutôt plaisant à regarder mais les péripéties s’accumulent sans grande surprise : infailliblement, l’un des fils de Jimbo ou Carroll finit par mettre du LSD dans le café de son grand-père, ce qui donne l’occasion à Duvall de s’autoparodier en prédicateur bedonnant, quant au personnage de Thornton, peut-être le plus touchant de tous, il révèle sous ses airs d’autiste un trauma de guerre qui l’a laissé défiguré et profondément solitaire. Ce n’est pas que ces blessures soient sans importance, mais l’enchaînement des séquences au gré d’une logique improbable les réduit au rang d’anecdotes. Fourmillant de détails, le récit perd en profondeur, malgré les séquences musicales bienvenues où ce déluge narratif cède la pas à la vision fascinante et cauchemardesque des carcasses de voiture d’accidents de la route que le vieux Caldwell surveille depuis son poste de radio nuit et jour. Au mouvement constant du road-movie, il faudrait opposer cette autre image essentielle du cinéma américain : le crash et la fascination pour les morts sanglantes. Loin de se livrer à ce genre d’autopsie, le film de Thornton se contente d’en esquisser les contours : le drame, à l’instar de la voiture accidentée de Jayne Mansfield que les vieux Caldwell et Bedford vont voir avec un mélange de fascination malsaine et de trompe-l’ennui, prend valeur d’attraction locale.