Onze jours pour se baigner d’un retour. Du 7 au 18 mars 2008, le festival international de films documentaires Cinéma du Réel tient sa 30e édition, principalement au centre Pompidou. Il a souvent été question lors des années précédentes de suivre l’évolution du monde, ses transformations, ses mouvements. Changements du travail des cinéastes par la technique, de Jia Zhang-ke à Wang Bing, et changement des paysages locaux et globaux, des Trois Gorges à Shenyang.
Cette année l’attention portée à la mémoire impose un retour en arrière. C’est que si le documentaire peut porter l’ancien à travers son histoire, il est aussi un mouvement opéré par les cinéastes. Accompagner un retour, le vivre, bien souvent non pas retrouver l’image d’une trace mais s’accrocher à la situation de sa recherche. Les rétrospectives de cette année construisent des mouvements en aller-retour de la mémoire à leur réflexion. Pour une édition anniversaire, rien de plus logique.
« Americana », voyage vers les seventies, reprend les événements marquant d’une époque de l’intérieur, et prolonge les récentes évocations parisiennes – trop rares – de cinéastes américains comme Frederick Wiseman et Lech Kowalski. Autour des trois premiers films de Jim McBride et du travail – loin des studios – de Shirley Clarke avec des marginaux, la programmation suit les luttes et les engagements de cette époque.
Dans une zone géographique toute différente mais souvent porteuse d’idées fausses, « En Asie du sud-est », des cinéastes travaillent à maintenir et diffuser une mémoire souvent cachée. Des films plus récents, eux aussi porteurs d’un engagement et d’une volonté de montrer, mais avec la réflexibilité qu’implique notre époque. L’Indonésien Garin Nugroho enchaîne documentaires et fictions, attaché à sa culture (le gamelan indonésien d’Opera Jawa, 2006). Tout comme le Philippin Raya Martin, chez qui fiction et documentaire se côtoient pour révéler passé et présent en refusant tout exotisme. Trois longs métrages d’Amir Muhammad et une série de courts évoquent des réalités malaises au damne des autorités locales, et un hommage au cinéaste Lav Diaz révèle des films fleuves qui esquissent à travers temps et lieux le portrait d’un pays, les Philippines.
Le touriste regarde au premier abord un pays de très loin, ce qui peut le différencier du « voyageur ». Mais les deux captent, et les figures de l’homme « ailleurs » sont multiples. Un important programme de films, depuis les travelogues de Burton Holmes où la narration d’un conférencier participe du spectacle de l’image et du jeu de sa projection, à « l’insertion » de l’ethnologue Stéphane Breton en Nouvelle-Guinée (Eux et moi, 2001) ou à la loufoquerie d’un Moulet vantant les terrils du Nord (La Cabale des oursins, 1994). C’est ici la possibilité de réfléchir à la perception du monde en même temps qu’à sa représentation. Mise en boite, mise en perspective, mise en abîme.
Opposition facile, la prison est pourtant loin de limiter les cadres cinématographiques. Films sur la prison et les évolutions de son fonctionnement, ateliers de réalisation, mises en perspectives des images, elle est aussi un lieu où plus qu’ailleurs la mémoire est indétachable du présent.
Pour accompagner ces événements, dessiner la suite, deux compétitions, internationale et française, 28 et 12 films. Les sujets suivent la piste de sociétés aux frontières en constants changements. Mouvements humains, de paysages, mais surtout les dispositifs qui évoluent, embrassant plus volontiers un champ large, contenant à la fois l’objet des modifications et ses répercutions. Reste alors à se laisser bercer, de découvertes d’images et d’images de découvertes, du centre Pompidou aux lieux associés à Paris et en banlieue, pour créer ou rafraîchir un élan de mémoire.