Festival militant et cinématographiquement exigeant, la dernière édition d’Est-ce ainsi que les hommes vivent ?, intitulée « Sex is politics » fut aussi réussie que prévu, bien que le système des projections uniques pour chaque film suscitait la frustration d’un spectateur convaincu par la cohérence de sa programmation.
« De deux choses l’une : ou le cinéma vient à bout de l’érotisme, ou l’érotisme viendra à bout du cinéma », d’après Georges Bataille.
Profitant de la présentation de son documentaire biographique sur la vie et les inventions littéraires de l’auteur de L’Érotisme (1957), André S. Labarthe, auteur de Georges Bataille à perte de vue, a eu la finesse et l’intelligence de revenir sur la « non pensée » ou plutôt sur l’éviction du « but » à l’œuvre dans ses romans et ses essais. Cette pertinente mise en garde souligne la difficulté de toute filiation ou « illustration » artistique. La programmation proposait en regard L’Empire des sens, mais pourquoi ne pas y associer les films de Roland Lethem ou de Jean-Pierre Bouyxou, voir le magnifique court métrage Le Temps des cerises (Jean-Julien Chevrier, 2004) qui bouleverse la hiérarchie des valeurs entre les flux politiques et les flux libidinaux à partir d’un sujet tabou : la sexualité des septuagénaires…? Le documentaire de André S. Labarthe est aussi une belle introduction à la réflexion sur la « mise en branle » de l’inspiration des films pornographiques, pour en percevoir la variété avec « la gageure de genre » du scénario et des plans de Change pas de main de Paul Vecchiali, l’humour et le militantisme libertaire et homosexuel du Sexe des anges de Lionel Soukaz, le documentaire sur le contexte de sortie et la réception de Gorge profonde… Enfin, en creux, il met en garde contre toute tentative de justification extérieure (à l’image des risibles diatribes politiques et artistiques sur fond de télévision du Désirable et du Sublime de José Bénazeraf…).
Festival de « sexe », il fut l’occasion de revoir les classiques du fétichisme érotique (Loulou, L’Ange bleu, L’Âge d’or…), de déceler a posteriori des échos du « genre » (le merveilleux Certains l’aiment chaud) mais surtout de faire revivre et de comprendre le poids de la sexualité dans le discours démocratique de la décennie soixante-dix. On était plongé au cœur du bouleversement de l’hétérosexualité sous les coups du féminisme (ceux qui n’ont pas vu Anatomie d’un rapport de Luc Moullet ne peuvent pas en mesurer pleinement la saveur…) et confronté à l’homosexualité, partie à la conquête d’une visibilité publique : le poème précurseur Un chant d’amour (1950) de Jean Genet, le documentaire de Pier Paolo Pasolini posant ouvertement la question dans Enquête sur la sexualité (1964), les chefs-d’œuvre de Fassbinder, alors que l’homosexualité est toujours interdite en France, le ciné-tract du FHAR de Carole Roussopoulos qui traque nos réflexes « hétéro-flics »…
Toujours dans le cinéma de patrimoine, la révélation du Festival est la découverte de plusieurs films de Kôji Wakamatsu (Sex Jack, La Vierge violente, L’Extase des anges…) à la beauté formelle édifiante. Ses images symboliques et leur discours intriguent d’autant plus que ce compagnon audiovisuel de l’Armée Rouge Japonaise (ARJ) laisse aux spectateurs la responsabilité de l’interprétation de ses films émaillés d’une violence politique, humaine et sociale où la sexualité détient un pouvoir et/ou révèle une explosion ambiguë. Invitée à le rencontrer, Catherine Breillat, dont le Festival présentait le premier film Une vraie jeune fille, y est allée de son laïus, toujours aussi jouissif, sur la bêtise de la télévision qui « en chaîne » et sur l’importance de la représentation d’une autre sexualité que celle de la pornographie.
La cerise sur le gâteau, ce fut la projection, en clôture, du dernier film de Larry Clark (Wassup Rockers, sortie prévue en avril 2006), véritable génie du cinéma américain contemporain, qui se pose là où on ne l’attend pas avec un déferlement d’humour, de tendresse et de pudeur que certains ont eu le tort de ne pas déjà lui reconnaître… Avis aux amateurs, Critikat en reparlera à sa sortie !