Pour la dernière fois avant de réinvestir un Forum des Images flambant neuf, les gays, lesbiennes, bis, trans et leurs amis ont investi le Rex et le Latina pour la 14ème édition du festival des films LGBT. Huit jours durant, les festivaliers venus en très grand nombre ont pu profiter d’une sélection dense résolument multi-genres où courts-métrages, documentaires, clips, fictions, avant-premières, débats (l’homosexualité à l’école), clubbing et cabarets (mention spéciale à la soirée Pigalle Is Back) se sont succédé dans un jubilatoire mélange. Cette année, c’est Didier Roth-Bettoni (auteur de L’Homosexualité au cinéma) qui succède à Rémi Lange en tant que nouveau bras droit de Florence Fradelizi à la programmation. En découle une sélection inégale quoique plus ouverte et généreuse que l’an passé, avec peu de long-métrages forts et un fil rouge, « islam et homosexualité », qui a eu du mal à convaincre. Parmi les temps forts, on retiendra néanmoins la présence de Bruce LaBruce himself ainsi que la projection en avant-première de Derek d’Isaac Julien.
Sacrés gays !
Sous la dénomination « Kanbrik » (Je t’aime en arabe), le Festival a consacré plusieurs soirées aux rapports entre l’islam et l’homosexualité, projet ambitieux et questions indispensables lorsque l’on sait que dans de nombreux pays l’homosexualité est encore considérée comme un délit passible de peine de mort. Malheureusement, la qualité des films et documentaires présentés a quelque peu affaibli la portée de cette réflexion et ce dès le film d’ouverture Corazones de Mujer (2008, de Davide Sordella et Pablo Benedetti), road-movie vers Casablanca d’un travesti et d’une jeune femme qui cherche à retrouver sa virginité avant son mariage. Bien qu’inspiré de la vie des deux acteurs principaux, ce film accumule beaucoup de clichés et porte un regard trop européen sur la manière dont l’homosexualité est perçue au Maroc. Esthétiquement, le film est bien plus proche d’une pub pour Nescafé que des œuvres de Wong Kar-Wai, usant de manière intempestive des ralentis et des surimpressions. Tout aussi décevant, le documentaire A Jihad for Love (2007, déjà vu sur Arte), réalisé par un jeune cinéaste d’origine indienne Parvez Sharma qui a parcouru, pendant six ans, douze pays afin de recueillir les témoignages de gays et lesbiennes musulmans. Ce documentaire pâtit de l’ampleur de son projet : à vouloir parler de trop de pays et donner une place à un aussi grand nombre de témoignages, il perd tout recul critique. Les destins particuliers, aussi forts soient-ils (on pense notamment à ce rescapé des 52 du Caire), ont une fâcheuse tendance à s’aseptiser voire à flirter avec la démagogie. Il est vrai que ce documentaire a le mérite d’exister et que l’on peut louer le courage des personnes qui ont témoigné à visage découvert. Mais pour que ce film ait un vrai impact politique, encore faudrait-il qu’il soit diffusé hors du cercle restreint d’une communauté déjà au fait de ces réalités.
Paradoxalement, la vraie découverte nous vient d’une contrée beaucoup plus proche, terre du sacré par excellence (mais catholique cette fois-ci) : l’Italie. Soudain, l’hiver dernier (2008), dont le titre est un clin d’œil évident à Tennessee Williams et au film de Mankiewicz, a été réalisé par un couple de journalistes homos (Gustav Hofer et Luca Ragazzi) qui ont tout a fait su rendre compte de cette dualité entre religion et homosexualité. Pensant filmer le processus législatif qui aurait abouti à la ratification du DICO (une sorte de PACS italien), le couple s’est retrouvé malgré lui à faire la chronique d’un désastre puisque le DICO est toujours resté au stade de projet. À la manière d’un journal intime, Soudain l’hiver dernier fait la radioscopie d’une Italie en marge des autres pays européens, terriblement homophobe et dont le poids de la religion est tel qu’aucun parti politique fort n’ose s’imposer et aller à l’encontre des positions du Vatican. Le constat est édifiant mais il est judicieusement contrebalancé par l’humour et le regard cynique que porte le couple sur cette réalité, n’hésitant pas à se mettre en danger en questionnant les passants ou en filmant une manifestation néo-fasciste anti-gays. Quelques mots enfin sur la soirée « Sacrés courts » – appel aux courts-métrages initié par le Festival – qui, comme son nom l’indique, traitait cette année du Sacré : beaucoup de pochades qui passent très bien sur YouTube mais plus difficilement sur grand écran (un christ qui chante Marie de Johnny), des projets plus esthétiques (Alléluia de Stéphane Marti qui joue la carte de la facilité en illustrant la chanson de Jeff Buckley, le clip de Tom de Pekin) ou délicieusement dérangeants (les films de Laurence Chanfro, les seuls finalement à susciter l’intérêt).
O Fantasma
Alors que les filles se sont délectées de revoir le baiser culte de Susan Sarandon et de Catherine Deneuve dans Les Prédateurs (Tony Scott, 1983), en séance de minuit et copie neuve ; que les moins farouches d’entre elles (et elles étaient nombreuses) se sont pressées au cinéma Berverley pour une soirée porno « 100% Hot Girl », les garçons ont eu l’occasion de se rincer l’œil devant les corps dénudés de beaux éphèbes grâce au documentaire Fantasmerica de Lionel Bernard, deuxième volet de la Nuit Gay de Canal+ dédiée, présidentielles obligent, aux États-Unis. Diffusé après This Is Family, une exploration des nouvelles familles américaines traitée comme un épisode de Desperate Housewives (inégale et parfois trop caricaturale), Fantasmerica est un panorama des fantasmes homo-érotico-porno à la sauce US commenté avec un second degré bienvenue par Madame H. Des cow-boys aux flics en passant par l’arrivée des premiers latinos, ce documentaire parcourt plus de trente ans d’images interlopes et donne l’occasion de voir quelques raretés kitsch. Il nous fait aussi réaliser que l’arrivée des caméras vidéos et des VHS a tué ce que le porno en 35mm pouvait encore avoir d’artistique et d’esthétisant (en témoigne l’art du montage dans la séquence avec Peter Berlin).
Chef de file d’un porno plus mainstream (à sa sortie en France Hustler White, également programmé pendant le Festival, aurait pu être classé X sans l’intervention de Jack Lang), Bruce LaBruce a créé l’événement en venant présenter devant une salle comble son dernier film Otto ; or Up with Dead People (2007). Derrière une histoire de zombies gays digne d’Ed Wood ou de John Waters, Bruce LaBruce tente une allégorie fantastique, porno et politique de l’homophobie et de l’ostracisme envers les séropositifs. Les adeptes du réalisateur trouveront peut-être que la démarche manque d’impact et que le propos se délie, perdant progressivement de sa consistance à mesure que les différents niveaux du récit se révèlent. Mais il n’en reste pas moins que Bruce LaBruce fait preuve d’une inventivité et d’un sens certain de la mise en scène. Il n’hésite pas non plus à démanteler les strates temporelles tant dans le récit que dans son esthétique, via notamment cette actrice propulsée du cinéma muet en couple avec la réalisatrice bien ancrée dans notre époque.
Le hasard de la programmation a fait que dans le film qui suivit la projection d’Otto, il était également question de zombies, l’un des personnages étant à un moment poursuivi par ses amants devenus morts-vivants. Suite attendue de Another Gay Movie (pastiche assez réussi des teenage movies hétéros), Another Gay Sequel (2008) est pourtant bien éloigné de l’original. Perdant une partie du casting d’origine (seule la drama queen est restée), le film a considérablement gagné en vulgarité et n’est qu’une accumulation de blagues graveleuses et de placement de produits pour les sponsors du film. Mis à part la présence anecdotique de deux ou trois porno stars et une parodie assez drôle des musicals tout à la gloire des « golden showers », il n’y a pas grand-chose à sauver dans cette débandade de mauvais goût. Voilà l’archétype du cinéma gay qui pense que parler sexe et mettre quelques jolis garçons torse nu suffit à nourrir l’appétit des spectateurs. Todd Stephens nous avait habitués à plus de subtilité (notamment dans le très beau Edge of Seventeen).
Homm(es)ages
Au sein de cette programmation dense, riche d’inédits et d’avant-premières, le Festival a aussi proposé plusieurs cartes blanches ou hommages à des artistes qui, par le biais de leurs œuvres ou de leurs combats personnels, ont fait à leur manière acte politique et servi les droits des homosexuels. Cinéaste engagé, Derek Jarman était notamment à l’honneur avec la projection en avant-première de la ressortie d’Edward II mais surtout de l’indispensable documentaire d’Isaac Julien, sobrement intitulé, Derek. Grand absent de la rétrospective consacrée au cinéaste à Bobigny au début de l’année, Derek est en quelque sorte un double chant d’amour. Le chant d’amour d’Isaac Julien, tout d’abord, artiste plasticien anglais, queer engagé dans la cause des noirs, à qui l’on doit notamment le sublime Looking for Langston, poème visuel en noir et blanc autour de la figure de Langston Hughes et de la Harlem Renaissance ; de Tilda Swinton, ensuite, actrice phare et muse de son cinéma, qui ponctue le documentaire d’un dernier hommage à ce réalisateur mort trop tôt du Sida. Parfaitement maîtrisé, Derek prend comme point de départ une interview fleuve de Derek Jarman de plus de douze heures qu’Isaac Julien a remontée et illustrée d’archives, d’extraits de films ou d’images qu’il a lui-même superbement tournées. Cet hommage d’un artiste plasticien engagé à un autre s’est terminé par un débat avec Isaac Julien qui a malheureusement tourné court faute d’intervention du public, peut-être encore sous les chocs de ce très beau documentaire.
Côté courts
Depuis ses débuts, le Festival gay et lesbien de Paris a toujours accordé une place de choix aux courts-métrages, preuve s’il en est que ce n’est pas la taille qui compte mais la manière dont les réalisateurs s’en servent (de leur caméra). Les deux séances « côté garçons » et « côté filles » ont comme toujours été plébiscitées par les festivaliers et ont été à la hauteur de leurs attentes, avec quelques belles découvertes comme ces sketchs parodiques du duo de filles Patricia & Colette. Autre curiosité, The Saddest Boy in the World, fantaisie macabre de Jamie Travis (le film raconte pourquoi un petit garçon veut se pendre) très marqué par l’esthétique des 60’s et qui a reçu à juste titre le prix du meilleur court, prix décerné par Canal +.
Du court au long-métrage, certains réalisateurs découverts lors des éditions antérieures franchissent le pas. C’est notamment le cas de Pascal-Alex Vincent dont le premier long Donne-moi la main, road-trip de deux frères jumeaux qui se rendent à l’enterrement de leur mère, a eu les honneurs de la clôture. Quelques jours plus tôt, une séance de rattrapage au Latina a permis de nous replonger dans ses premiers courts-métrages (mention spéciale pour Far West, Bébé Requin laisse plus sceptique) et de profiter en prélude à un concert du duo japonais (Pascal-Alex Vincent a d’abord travaillé dans l’import de films nippons) drôle et détonant Les Romanesques. Donne-moi la main développe bon nombre de motifs présents dans les courts (le thème des jumeaux, le passage de la jeunesse à l’âge adulte, le goût pour l’animation) même s’il le fait de manière beaucoup plus dramatique. Pascal-Alex Vincent prend aussi le parti risqué du film « contemplatif » faisant l’économie des dialogues et préférant miser sur l’ambiguïté des images et une certaine homo-érotisation des jumeaux qui n’est pas sans rappeler, en moins appuyé, le Gaël Morel du Clan. Après quelques minutes un peu laborieuses, le film parvient à imposer son parti pris et à contourner les clichés inhérents à ce type de traitement. Donne-moi la main agit par impressions, par touches inconscientes et demande par là-même à être digéré par le spectateur. Un film en demi-teinte, donc, à l’image du Festival capable quand même de faire sortir quelques belles découvertes au milieu d’une sélection inégale. Composant avec les sexualités plurielles (homos, hétéros, bis), Donne-moi la main a au moins le mérite d’ouvrir cette 14ème édition vers d’autres possibles faisant de ce festival celui de tous les genres.