La première édition ayant déjà eu du mal à se tenir, on se demandait si le festival le plus politiquement foutraque et olé-olé de la capitale allait continuer d’exister. Ouf ! Encore bricolé avec trois bouts de ficelle mais beaucoup d’énergie, le PPFF a offert sa deuxième édition. Toujours le même esprit : rassembler diverses représentations explicites du sexe ne relevant pas du porno industriel. Résultat ? Du lard et du cochon, forcément.
La programmation était ultra variée, aussi bien en termes de sexualités (SM, gay, lesbien, gender queer, trans…) que de formes (courts, longs, fictions, documentaires, expérimental…), mais une problématique assez claire traversait un certain nombre de films présentés : comment sortir le porno de son ghetto ? peut-on changer les mentalités de la majorité hétéro ? et même : le porno sauvera-t-il la blanche bourgeoise ?
Ces questions se posent chez Mia Engberg, réalisatrice suédoise qui, il y a quelques années, tentait avec Selma & Sofie une première approche de cinéma érotique féminin. Une histoire d’amour entre deux filles, jouées par un couple dans la vraie vie. Destiné aux femmes, espérant susciter des coming out, tout y est malheureusement joué dès le début : pas de naissance du désir. C’est filmé professionnellement et avec beaucoup d’amour (comme le montre Bitch & Butch Bakomfilmen, le making of-manifeste qui l’accompagne), mais ça ne suffit pas à convaincre. Moins, en tout cas, que le projet Dirty Diaries, expérience intéressante de porno féministe, laissant juste perplexe par sa façon de quitter un ghetto (le porno) en en intégrant d’autres (l’indé, l’arty). Le film sort dans quelques salles art et essai aujourd’hui.
Histoires de sexe(s) d’Ovidie et Jack Tyler, lui, ne connaîtra jamais de sortie en salles à cause d’un mic-mac juridique plein d’hypocrisie : il a échappé à l’infamant X de la commission de classification mais n’a pas reçu de visa d’exploitation. On ne peut que se désoler des préjugés dont souffrent encore les acteurs du X essayant de s’introduire dans le circuit « tradi » (autrement que pour faire doublure de gros plans anatomiques, jouer leur propre rôle chez Bonello ou fournir une dose de soufre à Breillat). On n’est pas obligé d’être indulgent avec le film pour autant. Cette comédie de mœurs amuse et excite à l’occasion, a peut-être des vertus pédagogiques pour les jeunes hétéros classe moyenne qui se fient sans recul aux conseils des magazines (dans le cadre d’une campagne institutionnelle, il ferait son petit effet), mais souffre d’un lissage bâtard : pas l’énergie et le charme à l’arraché des pornos assumés, pas le geste singulier et le minimum émotionnel qui transcendent la sociologie et donnent de l’intérêt aux films traditionnels.
Mais on préfère encore ça aux quelques courts issus de la série X‑femmes (Canal+) qui ont été projetés. X‑femmes, c’est l’équivalent franco-chic de Dirty Diaries, c’est l’establishment qui se penche sur le porno, c’est destiné (la productrice Sophie Bramly le revendique) à la bourgeoise coincée. Bon, pourquoi pas ? Si on veut du porno pour tous, il faut bien commencer par attirer les réfractaires. Sauf que le résultat est la plupart du temps calamiteux. Anna Mouglalis se vautre dans une aberrante atmosphère – théâtrale, hystérique, agressive – et assure le quota « explicite » en diffusant des scènes de X sur des écrans en arrière-plan. Arielle Dombasle atteint des sommets de ridicule, déambulant à New York entre boutiques de luxe et boîtes de Barbie, se retrouvant au commissariat en France, tout ça pour offrir à une longue file de mâles curieux, dans un hôtel particulier, derrière une porte gardée par un très officiel gendarme, le plus beau « bijou indiscret » du monde – soit le minou d’une stripteaseuse new-yorkaise. Si, si. Laetitia Masson, elle, commence son film par le trajet d’une ancienne caissière au chômage (Hélène Fillières, quand même, on y croit moyen) qui se lance dans la prostitution de luxe et se pose des questions sur la sodomie. Passe encore, même si l’ambition de questionner une pratique devenue quasi obligatoire pour les lectrices de la presse féminine n’impliquait pas nécessairement une approche pleine de manières et de pruderies. Que de reculades pour une enculade ! Mais le pire, c’est quand Masson se sent obligée d’imposer sa marque d’auteure, c’est-à-dire d’arrêter de raconter son histoire pour la mettre en abyme, de décréter que Jean-Louis Murat est plus érotique que deux acteurs en train de baiser, d’interviewer les acteurs en questions – bref, de transformer son film en pensum complètement creux. Évidemment, les seules qui s’en sortent sont celles qui prennent le moins de pincettes. Caroline Loeb propose une rêverie qui, bien qu’elle aussi ressente le besoin de recourir à un alibi esthétique (l’orientalisme), ne tortille pas du cul et offre un joli moment de sensualité saphique. Mais c’est Helena Noguerra qui, sans chichi et avec humour, dans un délire pop peuplé de superhéros, filme le seul « vrai » porno de toute la série, renversant simplement les codes au bénéfice de son personnage féminin central ; enfin, ça baise sans se poser trop de questions.
Dans The Doll Underground d’Eon McKai, annoncé comme un porno alternatif où des lolitas gothiques posent des bombes contre les symboles du capitalisme, on s’attend pour le coup à ce que ça se pose des questions intéressantes. En fait, pas vraiment. Le film s’ouvre par un réjouissant collage expérimental d’images vintage auquel viennent se greffer peu à peu, de plus en plus isolées et de plus en plus longues, des scènes de baise impliquant nos sexy terroristes. Pas aussi révolutionnaire que prévu, car on est dans le pur folklore intégré par le système ; le discours politique est décoratif, encore moins subversif que V pour Vendetta – c’est dire. L’alt.porn, au fond, est à l’industrie du X ce que les films dits « indépendants » produits par les filiales des majors hollywoodiennes sont à ces dernières : Eon McKai est produit par Vivid alt, soit la branche alternative de la plus grande compagnie porno au monde. Cela dit, on ne réclame pas nécessairement une contestation authentique et un manque de moyens – et ce qui manque peut-être, au festival, c’est quand même d’aller chercher dans le porno mainstream ce qui vaut le coup, car ça existe… Bref. Malgré une durée excessive, un enrobage sonore électro ininterrompu et quelques effets de montage garantissant la dimension alternative, The Doll Underground n’en reste pas moins assez plaisant et réserve, dans un magma de noirceur, quelques inattendus frissons de délicatesse.
La délicatesse dans la violence, c’est aussi ce qu’on a pu trouver chez Todd Verow, réalisateur new-yorkais de films gay qui a surpris son monde avec The Final Girl, où n’apparaissent que des filles (dont Wendy Delorme et Judy Minx, étoiles montantes de la performance féministe pro-sexe, et Pascale Ourbih, émouvante actrice transsexuelle). Étrange objet, à l’image moche et au son pourri, traversé d’errances arty assez ennuyeuses, mais lesté d’un étonnant lyrisme (dû, entre autres, aux chansons de Heather Nova) et traversé de beaux moments d’intimité entre actrices lors de scènes troublantes de dialogues, particulièrement bien écrits.
Bon, et à part ça ? À part ça, le festival s’est penché sur l’évolution du discours féministe vis-à-vis de la pornographie en projetant des documentaires anti-porno (Not a Love Story de Bonnie Sherr Klein) et pro-porno (The Joy of Porn : My Life As a Feminist Pornographer de Petra Joy), a défendu les droits des travailleuses du sexe avec Live Nude Girls Unite ! de Julia Query et Vicky Funari, a donné dans le porno contestataire avec les vidéos jouissives du new-yorkais Charles Lum et du collectif lillois Urban Porn, a mis à jour avec le documentaire Stalags d’Ari Libsker une inattendue sous-culture israélienne (des pulp porn distribués sous le manteau mettant en scène soldats américains et femmes SS dans les camps de prisonniers) et a offert de multiples réjouissances pour tous les goûts.
Un mot enfin de la compétition de courts métrages, qui allaient du chic et chichiteux (Handcuffs d’Erika Lust, la coqueluche du porno féministe dont on mettait déjà en doute l’intérêt du Barcelona Sex Project lors de la précédente édition) à la vidéo militante (J.Pin’Dark du collectif Urban Porn, où une bande d’activistes délurés affublent une statue de Jeanne d’Arc d’un grand phallus rose et d’un panneau questionnant son identité et sa récupération idéologique – ce qui suffirait amplement mais est malheureusement gâché par des chorégraphies pseudo-subversives assez ridicules) en passant par l’objet bâtard (Switch de Lola Clavo, où deux filles ayant raté le dernier train de banlieue finissent par s’étreindre contre un grillage : interminable, ni captivant, ni excitant, ni rien du tout).
Le jury ne s’y est pas trompé, qui a récompensé les films les plus intéressants.
Out in the Woods de Barbara DeGenevieve, prix du meilleur film, est un porno queer où un transsexuel masculin à chatte et une fille dont on découvre que la couche scotchée sur son entrejambe cachait un petit zizi se livrent à une lutte dans la forêt. Le mélange de brutalité ritualisée, de roulades spontanées dans les épines de pin et de douceur inattendue accouche d’un résultat des plus troublants, qui justifie la récompense suprême.
Notre coup de cœur va cependant au prix de la meilleure narration, Arcade Trade de Samara Halperin, qui suit la drague, les déambulations urbaines et les ébats de deux jeunes skaters gays à San Francisco. Le film prend la forme d’un clip dont le montage, plein de jump cuts et d’ellipses, n’a rien de l’habillage MTV gratuit mais fait effet de syncopes au diapason du désir et de l’énergie des deux protagonistes, venant en contrepoint de la stricte linéarité chronologique.
Meilleur documentaire : Want de Loree Erickson, consacré à la sexualité des handicapés. Courageux par ce qu’il montre, curieux dans la manière dont il le fait (confus, entrecoupé de cartons à tonalité militante lus simultanément par une voix-off), il laisse une impression en demi-teinte.
Et enfin, puisque une compétition a toujours ses prix dévolus aux comédiens mais qu’il serait contraire à l’esprit du festival de distinguer les hommes des femmes, il y avait un seul prix du/de la meilleur‑e performeur-se , remporté par Madison Young pour sa Madison’s Solo Sextape, où elle se livre à toutes sortes de rituels SM sur son propre corps, toute seule. Une sacrée performance, assurément, où l’obstination parfois laborieuse de la jeune femme ne laisse pas d’impressionner, même si tout ça ne s’est pas avéré très excitant à nos yeux…
Allez, on va se reposer, à l’année prochaine pour une nouvelle cartographie des pornographies alternatives.