Un dictateur, des colonisateurs, des corrompus, mais aussi des familles qui ne tiennent pas debout, d’autres, comme les Touaregs, qui tiennent malgré tout, des couples mal assortis… Ingrédients éclectiques d’une riche recette, celle de la Quinzaine du Cinéma francophone. D’Haïti à la République du Congo en passant par les Pays-Bas, le Vietnam, la France et la Belgique, cette 19ème édition est un très beau bilan de santé de la famille francophone cinématographique.
D’Haïti au Congo en passant par le Rwanda
Haïti, Citadelle Laferrière. Une citadelle, ou plutôt une gigantesque forteresse, hermétiquement fermée, se tenant droite sur sa colline. Raoul Peck y filme les vingt-quatre dernières heures au pouvoir d’un dictateur de papier. Ce Moloch tropical faisait, lundi, l’ouverture de la Quinzaine du Cinéma francophone. Un huis clos oppressant, fable shakespearienne sur le pouvoir, sur le soutien des États-Unis à certains régimes corrompus. Ici, c’est Haïti, le pays de Raoul Peck, mais ça pourrait être ailleurs. Pour ce dernier film, le cinéaste a eu l’idée géniale de faire appel à Zinedine Soualem, beaucoup vu chez Klapisch, en homme agrippé au pouvoir, pauvre pantin grotesque et grossier dont la chute est imminente. En plus de ce Moloch, la Quinzaine du Cinéma francophone propose une large rétrospective consacrée à Raoul Peck. Idée pertinente puisqu’il fait le lien entre l’Europe, l’Afrique, les Caraïbes. Du Congo (Lumumba, la mort du prophète, 1991) à Haïti (Haïti, le silence des chiens, 1994) et au Rwanda (Quelques jours en avril, 2005), on reverra avec bonheur l’œuvre de ce cinéaste politique, engagé, impliqué. Sa classe de cinéma du mercredi 13 octobre sera le point d’orgue de cette rétrospective.
Dans la droite ligne des Congophonies Cha Cha programmées il y a quelques mois au Centre Wallonie-Bruxelles et du cinquantenaire des indépendances africaines, la Quinzaine programme un nouveau zoom sur l’histoire du Congo. En avant-première, la remarquable série documentaire d’Eklektik Productions pour la RTBF. Trois films sur cinq siècles d’histoire du Congo (1510 à aujourd’hui), portés par des images inédites et des photos d’archives alternant avec des interviews reconstituées (en images d’animation) d’acteurs de l’époque. Trois excellents films qui suivent la chronologie de la traite négrière à la naissance de la RDC et la mort du Congo belge, puis les années Mobutu, « roi du Zaïre » et celles de Kabila une fois le pays redevenu Congo (Kongo : la course effrénée ; Kongo : les grandes illusions et Kongo : le géant inachevé). Pour le troisième film, les auteurs ont imaginé la vision de Lumumba sur son pays, après son assassinat le 30 juin 1960. C’est donc un Lumumba imaginaire qui se fait récitant de l’histoire contemporaine d’un « géant inachevé » encore embourbé sur des décombres de violence. Un voyage au Congo qui se poursuit par un édifiant Kafka au Congo (2010), de Marlène Rabaud et Arnaud Zajtman, également produit par Eklektik Production ; une plongée dans les méandres de la justice et de la politique congolaise.
La famille éclatée au cœur de la programmation belge
À côté de ces focus sur Haïti et la République Démocratique du Congo, la Quinzaine du cinéma francophone propose dix long-métrages en avant première, en présence de leurs réalisateurs. Un beau Vertiges vietnamien, un Rondo franco-belge sur la judéité, une journée dans une crèche (le dernier film de Joachim Lafosse, Avant les mots). On retrouve aussi une autre Afrique, celle des Touaregs, avec la lutte d’Amina pour son indépendance économique dans le poétique Vents de sable, femmes de roc, de Nathalie Borgers, une coproduction totalement francophone (Belgique, Niger, France).
Autre périple, plus intime celui-ci, celui de la famille. Une famille disloquée, entre tendresse et violence, qui irrigue toute la programmation belge. Avec ma mère à la mer, d’Alexis Van Statum, explore la relation d’emprise d’une mère sur son fils. L’étonnant Miss Mouche, de Bernard Halut, raconte l’histoire de l’implosion d’une famille sans problèmes à travers les yeux – ou plutôt la caméra – d’une jeune adolescente. Tourné majoritairement en caméra subjective, puisque Nina passe son temps à filmer les petits et grands événements de son entourage, il dénote une maîtrise formelle et une écriture de la relation familiale très juste. Marieke Marieke, de Sophie Schoukens, notre coup de cœur, suit la jeune Marieke sur les traces de son passé, dans l’ombre d’un père mort et près d’une mère qui en tait le souvenir. Marieke et ses vieux amants, sa collection de photo, les liens distendus avec lesquelles on ne sait comment avancer est un petit bijou d’émotion sur l’éclosion d’une jeune femme avec un trop plein de tendresse. Amours contrariées, liens familiaux, le cinéma belge semble dessiner un mouvement de l’intime qui ressemble moins au cinéma belge burlesque et absurde qu’on avait l’habitude de voir. Qu’on se rassure, la clôture de la Quinzaine est dans la droite ligne de ces comédies noires. En avant-première, Kill Me Please, d’Olias Barco, raconte l’histoire d’une clinique qui pratique le suicide médical assisté. Comédie noire, en noir et blanc, avec pour héros Benoît Poelvoorde et par les producteurs de… C’est arrivé près de chez vous (1992). Un air qui sonne familier, bien loin de l’Haïti de Raoul Peck. Mais c’est aussi ça, la francophonie : une famille parfois disloquée, un peu tordue, parfois artificielle, mais dont la diversité nous ravit toujours.