L’histoire est résumée dans le titre : un tueur à gages sous protection judiciaire est contraint de s’associer à un garde du corps censé le protéger, le jeu annoncé étant de savoir qui finira par protéger qui. Une telle association de duo improbable et de collaborations forcées avait déjà été bien exploitée au cinéma. Pourtant, Hitman & Bodyguard ne tire pas réellement son épingle du jeu, cantonné à des oppositions un peu convenues (ou déjà vues, notamment l’opposition de style entre les deux personnages, l’un brutal et l’autre plus furtif) et à des enjeux matérialistes d’un autre âge (le garde du corps accepte le contrat pour récupérer son ancien emploi et reconquérir le cœur de son ex-compagne). Alors que le spectacle aurait pu être enlevé et entièrement décomplexé, le scénario s’enlise dans des interactions bien conventionnelles : quelques échanges d’amabilités ça et là, à base de celui-qui-a-la-plus-grosse, des débats d’ordre moraux, et des tirades sur l’amour — non pas dans sa dimension romantique, mais matérielle : posséder la femme parfaite (voir la présence de Salma Hayek en bimbo latina de service).
Conquête de l’Est
Malgré sa nationalité et ses têtes d’affiches américaines, la production a tout de même fait de choix de situer son action en Europe, notamment à Manchester et Amsterdam. Cette transposition en territoire européen, aucunement originale en soit (voir par exemple Ronin, ou la saga Mission : Impossible) aurait pu constituer un challenge scénographique, notamment dans l’obligation de s’accommoder d’un environnement à priori inadapté. Pourtant, Hitman & Bodyguard réalise l’exploit de ne quasiment pas se plier aux particularités locales, déployant sans concession son cahier de charge spectaculaire. Les rues étroites du quartier rouge d’Amsterdam deviennent un immense bac à sable pour les échanges de coups de feu et courses-poursuites folles (voir l’hallucinante baston dans une arrière-boutique, à la virtuosité creuse, en caméra portée à l’épaule), alors que la géographie même de la ville hollandaise aurait pu être prétexte à d’amusants contre-temps burlesques.
C’est donc armé de ses gros sabots que le film impose son attirail visuel et sa culture de la pyrotechnie dans un espace qui à priori ne semblait pas s’y conformer. Son atout majeur reste cependant une volonté réelle de mettre en valeur ses vedettes, et d’exploiter leurs caractéristiques. L’idée, par ailleurs, d’associer Ryan Reynolds à Samuel L. Jackson n’était peut-être pas si saugrenue. C’est que ce dernier incarne, depuis sa consécration chez Tarantino, et par l’expressivité exacerbée de son faciès, une figure sévère dans le cinéma américain (dans le remake de RoboCop par exemple, où il incarne un journaliste patriote républicain, rôle taillé sur mesure pour lui) au point d’en devenir sa propre parodie (notamment son rôle de policier superstar tué prématurément dans Very Bad Cops). Étonnant jeu au carré, donc, d’un acteur conscient de sa démesure et de son puissant charisme, associé à celui qui compense au contraire son manque d’autorité par une panoplie d’expressions faciales et un cabotinage quasi burlesque — un style qui trouve son apogée dans son interprétation de Deadpool, dont la fantaisie passait par un jeu tout en flexibilité (autant les globes oculaires, la voix et les exhibitions de son corps).
Peut-être pas l’élasticité hyper-active d’un Jackie Chan par exemple, autre corps d’action, qui se glisse dans les espaces (et se faufile littéralement dans des trous de souris au travers des différents territoires américains, métaphore astucieuse de son immigration), mais celle, à l’image du film, d’un acrobate pas très subtil qui se fraye un chemin grâce aux grosses décharges de son acolyte. Comme quoi, il y a bien une osmose entre le choix du casting et la direction artistique.