À côté des grands films collectifs (Avengers, X‑Men…), de nouveaux super-héros en solitaire apparaissent régulièrement sur le devant de la scène. Il y a eu Iron Man, Thor, Ant-Man… voici donc Deadpool.
À la manière d’un Captain America, d’un Wolverine, et de bon nombre de super-vilains (Bouffon Vert, Docteur Octopus, Yellow Jacket…), le mercenaire Wade Wilson subit les contrecoups d’une expérience scientifique et acquiert des pouvoirs surhumains. Il se retrouve confronté à de grands méchants, Ajax et Angel Dust, eux aussi dotés de dons extraordinaires, mais qui les mettent au service du côté obscur de la Force.
Bien que le personnage de Deadpool soit déjà apparu dans un spin-off consacré à Wolverine, le premier long-métrage réalisé par Tim Miller enchaîne les inévitables scènes clefs d’un récit originel : le moment où le super-héros trouve son nom, le moment où il fabrique son costume emblématique… Cette série de passages obligés conduit au bout de multiples et il faut le dire assez vaines péripéties à un prévisible et grandiloquent affrontement entre partisans du Bien et ceux du Mal.
Le choix de l’humour
Pour éviter un effet de redite trop apparent, on évolue tout de même sur un canevas très convenu, la 20th Century Fox s’appuie ici sur un super-héros, Deadpool donc, qui dans les Marvel Comics se distingue par son humour acide. Si des moments de comédie ont toujours été présents dans les films de super-héros, ils n’en étaient jusqu’à présent qu’un ingrédient parmi d’autres. Ainsi Robert Downey Jr apporte son humour à froid au personnage d’Iron Man, mais tout cela au cœur d’un vrai film d’action où la recherche du spectaculaire reste de mise.
Dans Les Gardiens de la Galaxie, la comédie occupait déjà une plus grande place, transformant quelque peu la structure même du film de super-héros en accordant une importance particulière aux parties dialoguées. Comprenant sans doute que la saga des X‑Men ou celle des Avengers peuvent revêtir un aspect anxiogène à toujours présenter une fin du monde imminente, à interroger le rapport à l’Autre surtout s’il nous est différent, ou à mettre en lumière les dangers du scientisme, les producteurs semblaient vouloir amener un peu plus de cool attitude à la recette habituelle.
Avec Deadpool, un nouveau cap est franchi puisqu’il s’agit d’un projet franchement tourné vers la parodie. Pétri de références à une cinématographie récente (127 heures, Star Wars, Taken…), qui servent de prétexte à autant de vannes plus ou moins drôles, Deadpool s’amuse à remixer la culture populaire au travers d’un personnage de super-héros cynique, amoral, et qui a surtout pleinement conscience de faire partie d’un univers de fiction. Il en résulte de nombreux regards caméra de Ryan Reynolds (sympathique dans le rôle) censés instaurer une complicité à l’ironie très postmoderne avec nous autres spectateurs : vous n’êtes pas dupes du spectacle fourni, de ses incongruités, nous le savons, et nous en rions avec vous.
Comme une impasse
Le problème avec la parodie est qu’elle est souvent un aveu d’impuissance. L’histoire du cinéma montre que lorsqu’un genre se laisser aller au détournement de ses codes, il est loin d’être à son apogée, mais plutôt à l’amorce de son déclin. Le western spaghetti en est le meilleur exemple. L’outrance apparaît quand le genre sur lequel la parodie s’appuie tourne quelque part à vide, n’arrivant plus lui-même à se réinventer et finalement se caricaturant déjà lui-même.
Et ce qui est à noter, c’est que le surgissement de la parodie au cœur d’un genre amorce en général un chemin sans retour. Comment refaire sérieux alors que dans un film antérieur les non-dits ont été exprimés ? Dans Deadpool, il est explicité que les films de super-héros reposent sur des principes incohérents et ne sont que des produits commerciaux sans fond ni forme. Comment se replonger ensuite naïvement dans les futurs tourments des X‑Men face la menace du terrible Apocalypse ?
De là à dire que le film de super-héros se situe au bord du gouffre, et que Deadpool en est le signe annonciateur, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Les avant-premières françaises pleines à craquer de Deadpool sont d’ailleurs la preuve du contraire, mais ce film par sa nature même est un indice d’une fragilité, d’un certain essoufflement.
Power Rangers
Avec Scream, Wes Craven avait réussi à détourner le film d’horreur, le gorger de références cinéphiliques, à rire de lui-même puisqu’il n’y avait pas meilleur chantre de ce genre cinématographique, mais en réalisant simultanément un très bon film d’horreur. Ce n’est pas le cas de Deadpool, qui est un mauvais film de super-héros, n’arrivant pas du tout à jouer sur les deux tableaux.
À l’exception d’une scène de poursuite sur autoroute, déjà livrée en grande partie dans la bande-annonce, qui rappelle que Tim Miller est le créateur du beau générique de l’adaptation de Millenium par David Fincher et qu’il a un joli sens graphique de l’image, la mise en scène lorgne vers un mélange improbable entre les pires tics clinquants de Zack Snyder et un vieil épisode de Power Rangers période Club Dorothée (le combat final est affligeant).
Comme englouti par la recherche du bon mot et de la situation décalée, le récit frise le néant absolu. Le méchant en chef – Ajax – n’a absolument aucun objectif, à part celui de se montrer le plus sadique possible. De fait, on doit se contenter de la seule quête vengeresse de Deadpool cherchant à retrouver une apparence humaine après les expériences qu’il a subies. C’est maigre et assez creux, et déjà vu justement dans les spin-off portant sur Wolverine.
C’est bien dommage car il y avait au cœur du film la potentialité d’une belle histoire d’amour. En quelques courtes scènes, très sensuelles, très charnelles, une vraie relation émerge entre Deadpool et la mystérieuse Vanessa. Quelque chose se passe à l’écran qui est vite évacué par de nouvelles blagues vaseuses à forte connotation scatologique et par une complaisance à force un peu gênante pour la violence gratuite, têtes coupées volant de toutes parts et des bouts de cervelle éclaboussant l’écran à intervalles réguliers.