À l’agonie depuis les années 2000, le genre fétiche de l’actioner semble incapable de renouveler son personnel. Si bien qu’en l’absence de nouvelles trognes, les odyssées de la virilité du 21ème siècle s’apparentent à des crash tests industriels dont l’expérience consisterait à vérifier la résistance des vieux mythes à l’épreuve des images d’aujourd’hui. X‑Men, Avengers, Transformers, 300… tandis que les franchises n’en finissent plus de faire tremper leurs joujoux dans un bain de jouvence numérique, que peuvent encore les muscles body-buildés face aux progrès de la motion capture et les orgies d’action digitales à la Michael Bay ? Réponse : peut-être avec Michael Bay justement, dont le récent Pain & Gain décrit le fiasco de trois laissés-pour-compte des années Reagan, dans un vrai-faux hommage aux action movies à l’ironie sulfurique, mené par Mark Wahlberg et Dwayne Johnson – deux des rares ambassadeurs crédibles du film d’action contemporain. Reste qu’entre les tarantinades à la Death Proof et Machete, plus méta-bis et grand-guignol que soucieuses de dépoussiérer leurs pantins, et les relectures goinfrées d’ironie et de clins d’œil, la résurrection des vieilles carcasses initiée par Stallone intègre un peu d’authenticité et de chair dans un territoire toujours plus lisse et synthétique. Pas plus finaud que les deux précédents, ce troisième épisode poursuit honnêtement la chevauchée testamentaire menée par Stallone depuis Rocky Balboa, tout en testostérone, en silicone et en nostalgie.
Contrôle technique
Généreuse alternative aux troupes Marvel en combinaison moulantes, Expendables 3 peine toutefois à dépasser la simple curiosité foraine pour ces vielles trombines boursouflées par le temps. En plus d’une recette marketing inchangée – un catalogue de patronymes gravés sur fond blanc dans une typo métallique en guise d’affiche minimaliste – le scénario radote à peu de choses près ceux des deux précédents épisodes : Ross, le chef d’un commando secret missionné par la CIA (Sly) se retrouve sur la trace d’un super-vilain sanguinaire (Mel Gibson, après Van Damme) dont l’élimination donnera lieu à un affrontement à l’issue charcutière entre de la chair à saucisse paramilitaire et les Expendables – avec l’accueil de Wesley Snipes et Harrison Ford dans le bataillon. À l’image d’un des personnages de vieux briscards qui demande à Ross s’il pense à se faire des « check-up » de santé, le spectateur viendra faire la révision des vieilles machines, dans une attitude oscillant entre le contrôle technique du mécano et l’émerveillement d’un antiquaire devant ses plus précieuses reliques. À ce titre, l’ex-star en chef est scrutée sous toutes les coutures, à grand renfort de travellings frontaux plein d’emphase et d’éclairages versicolores accentuant les reliefs de son visage disloqué, dont chaque partie semble se détacher des autres dans un jeu de plaques tectoniques faciales. Stallone, revenu d’entre les morts, apparaît en épouvantail botoxé, rafistolé pour l’occasion, comme on restaure un bronze oxydé pour une exposition temporaire, ou comme on drape de pixels le passage du temps sur le visage de Brad Pitt dans Benjamin Button. Les injections de plastique sous la peau achèvent de faire de Sly et Schwarzy les produits extensibles d’une industrie de recyclage : ils sont moins des objets de collection à embaumer que des figurines de grande consommation aux articulations rouillées mais encore utiles. On rebouche, on colmate, on rapièce à même le corps de l’acteur, et l’image se contente d’enregistrer – sans lissages. Contrairement aux fictions Marvel et Hasbro (Transformers), les héros ne sont pas les faire-valoir des prouesses technologiques de l’image, et la mythologie du white man muscled ne transige par sur le style qui l’a fait éclore : honneur aux punchs, aux poursuites, aux cascades et à la pyrotechnie. Fidèle aux premiers Rocky, la mise en scène se résume ainsi à un enchaînement de corps à corps et de têtes à têtes, du combat singulier à la joute de punchlines en cabine (d’hélico, d’avion, de camion, de voiture), faisant de ce troisième volet un film plutôt bavard et léger pour une oraison de fiers à bras.
Ressortis des friches du reaganisme, Stallone et son crew d’épaves tiennent la dragée haute à une équipe de jeunes causes perdues. Sur un prétexte bidon, Ross parcours le pays à la recherche de chairs fraîches supposées remplacer les vieilles carlingues au pied levé. Finalement, c’est bien Schwarzenegger, Ford, Lundgren et Snipes qui viendront en aide aux petits nouveaux, comme si la vieille garde était animée d’un supplément d’âme – revenants zélés d’une époque où les héros rejouaient le retour d’une Amérique triomphante sur le terrain de la fiction. Dans un monde privé de causes à soutenir, les vieux pachydermes sonnent creux, mais notre croyance d’enfant reste intacte : force est de constater que ces carcasses-là, à défaut d’être immortelles, encaissent toujours aussi bien les coups.