Une poursuite musclée entrecoupée de répliques cocasses, des véhicules en tous genres, une population affolée, des flics et gangsters excités… Very Bad Cops se déclare dès la première séquence comme une parodie de film d’action. Adam McKay, habitué de la comédie américaine, retrouve l’imposant Will Ferrell pour la quatrième fois en tant que réalisateur au cinéma après Frangins malgré eux, Ricky Bobby : roi du circuit, et l’hilarant Présentateur vedette : la légende de Ron Burgundy dans lequel Ferrell poussait très loin son art vocal. Un peu étouffé ici par de nombreuses autres stars et un scénario qui ne débride pas son personnage, il hisse cependant Very Bad Cops un peu au-delà de sa seule facture parodique.
Will Ferrell est connu aux États-Unis pour avoir été une star du Saturday Night Live avant de passer au cinéma, parcours fréquent pour les comiques issus du stand-up tels Ben Stiller, Steve Carrel, Jim Carrey, ou de l’autre côté de la caméra le nouveau roi de la comédie américaine Judd Apatow. Ce dernier, scénariste, réalisateur et producteur touche-à-tout, a coproduit les trois premiers films de McKay. Si le réalisateur de Funny People n’est cette fois pas au générique, un large plateau de stars hétéroclites a pris la relève : Mark Wahlberg, Samuel L. Jackson, Eva Mendes, Paris Hilton, Michael Keaton, The Rock, Steve Coogan… Ce qui fait craindre de transformer l’affaire en cocktail pour jet-set, crainte par moments justifiée.
C’est que chacun fait le cabot, joue d’autant plus de son cliché qu’une parodie en est le lieu rêvé. Et les parodies de films d’actions se sont multipliées, rarement vraiment hilarantes comme Tonnerre sous les tropiques ou atteignant un second niveau (on voudrait citer The Mission, de Johnny To, mais le film ne correspond pas réellement à une parodie, d’abord parce qu’il parvient à se prendre au sérieux, et à le rester). Le film de McKay use du classique ressort du couple que tout oppose : ici deux flics bêtes et incompétents. Vu cent fois, le dispositif ne fait d’abord pas mouche tant l’ensemble paraît décousu. L’un préfère rester derrière son ordinateur à traiter des dossiers secondaires et sait si mal maîtriser son arme qu’on lui échange contre un pistolet en bois (Will Ferrell). L’autre, moins bien défini, a tout de l’homme d’action mais ne comprend jamais rien, sinon qu’il n’aime personne (Mark Wahlberg).
Difficile d’allier un homme de parole à un homme d’action, d’ailleurs leurs films ne se ressemblent pas. L’un est bâti à la hache, le visage boudiné dont chaque partie semble capable de s’animer, possède une voix de stentor (il faut le voir en Ron Burgundy dans Présentateur vedette, vocaliser, déblatérer, chantonner devant les caméras avant que le direct ne commence), il parle et bouge à la perfection mais ne court pas. L’autre est petit, persifleur, toujours près d’un complot, il ne lâche d’ordinaire pas plus de trois répliques avant de traverser un quart d’heure de scènes d’action. Et la première demi-heure, le film hésite sur la place à donner au couple et à ses membres. Leurs bourdes sont assez plates, le spectateur pourrait avoir l’impression de zoner en même temps qu’eux. L’intrigue, vraiment parce qu’il en faut une – il est flagrant de noter le rapport difficile au long métrage des hommes issus du sketch et de la télévision –, reprend l’affaire Bernard Madoff. Steve Coogan y joue un champion de l’arnaque pyramidale, peu à peu débordé par les investisseurs floués (inévitables Tchétchènes, Nigériens…). On pourrait s’amuser à une cartographie géopolitique de ces cinquante dernières années en suivant l’origine des personnages de films d’action. Inutile de chercher une réelle vision politique du sujet. McKay s’amuse à pousser la corruption jusqu’à la rendre omniprésente et autodestructrice, mais elle n’est approchée véritablement que comme un milieu. McKay et la comédie américaine contemporaine prennent ainsi souvent un cadre très ciblé (le football américain, la course de vitesse automobile…) et s’en servent pour y exacerber la verve de quelques scénaristes et comédiens.
Le film est pourtant partiellement sauvé par une forte dose d’absurde, surtout basée sur la contradiction. C’est comme par hasard le moment où Ferrell s’impose davantage et mène Wahlberg, pas toujours mauvais dès lors qu’il agit en second. Là où la comédie cible presque systématiquement un loser ou au moins un inadapté qui s’ignore, le plus riche de l’actuelle production américaine a partiellement dépassé sa fascination pour les acteurs, et s’intéresse enfin aux personnages. Être en décalage ne suffit plus, il faut un second niveau ; le minimum étant l’absurde. Ici une série d’exemples mettent l’idée en pratique : Ferrell, aussi pleutre soit-il, attire toutes les femmes splendides qu’il croise (l’inspecteur est marié à Eva Mendes). Aussi droit soit-il, il raconte avoir été « pour dépanner », un maquereau pendant ses études. Wahlberg, lui, se révèle au détour d’une scène anodine un danseur classique hors pair. Les cartes des losers se brouillent ainsi et l’absurdité développe une profondeur vivifiante.
Il n’empêche, Very Bad Cops ne triomphe pas, sans doute trop de stars et d’argent balisent le film là où des aventures plus anciennes dégageaient une plus grande force. C’est pourquoi Apatow domine cette nouvelle comédie américaine. Soit en sachant encadrer ses personnages et comparses pour créer d’étonnantes performances (comme le va-et-vient du stand-up les postes d’acteurs, de scénaristes, de producteurs s’échangent sans cesse) dans la vaine de Délire Express (l’incroyable parole fleuve de Seth Rogen) ou des deux premiers Adam McKay. Soit en créant une puissante empathie pour des losers dont même le spectateur finit par considérer la bulle comme un monde. Exemplairement les adolescents ou affiliés (SuperGrave, En cloque mode d’emploi, 40 ans toujours puceau, Freaks and Geeks). Qu’ils soient glandeurs, fumeurs de joints tire-au-flanc et flemmards (les freaks), ou des asociaux incapables de s’insérer dans les communautés de leur génération (les geeks), une importante particularité d’Apatow est de leur donner conscience de leur inadaptabilité. Dans SuperGrave, Jonah Hill, racontant que chaque belle fille a déjà été saoule au point de coucher avec un moche, affirme plein d’espoir : « On peut être cette erreur ! » Dans les films d’Apatow, le personnage reconnaît sans cesse et accepte franchement son inadaptation, et part de ce constat pour se faire une place. C’est cette place rare du personnage comique que ne franchit pas ici McKay, et qui bride l’ampleur de son film.