L’affaire du Mediator restera, après celle du sang contaminé, l’un des plus grands scandales sanitaires recensés en France ces dernières décennies. Bref rappel des faits : en 2007, Irène Frachon, pneumologue à l’hôpital de Brest, constate que plusieurs patients traités par le Mediator, médicament coupe-faim commercialisé par les laboratoires Servier, sont atteints de valvulopathie, maladie touchant les valves cardiaques et pouvant entraîner la mort dans certains cas. Devant le large succès rencontré par le médicament, allant jusqu’à 300 000 traitements, le médecin et son équipe démarrent une série d’études mais se heurtent au scepticisme de l’Afssaps (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) et à la toute puissance du laboratoire. Au terme d’une interminable enquête, le Mediator ne sera retiré de la vente qu’à la fin 2009, essentiellement grâce à la détermination sans faille d’Irène Frachon face à des rebondissements dignes d’un polar.
L’indéniable puissance dramatique de l’affaire, associée à la personnalité éminemment romanesque de Frachon, font du scandale du Mediator un sujet idéal pour une adaptation cinématographique. Depuis Les Hommes du président, le cinéma n’a eu de cesse de relater le combat des David contre les Goliath politiques, financiers, médiatiques et autres, autant de puissants dont l’ahurissant cynisme n’a d’égal que le mépris le plus abject pour les vies humaines balayées par leur cupidité. Il y a 16 ans, Steven Soderbergh embarquait la plus grande star féminine de l’époque, Julia Roberts, dans le rôle à contre-emploi d’une inconnue qui, seule contre tous, mettait à jour un scandale sanitaire d’une ampleur similaire, avec le succès que l’on sait : Erin Brockovich valut un Oscar à l’actrice et est entré au panthéon des films-dossiers.
Les gentils, les méchants
L’ombre du film de Soderbergh plane sur La Fille de Brest, et l’on aurait du mal à en blâmer sa réalisatrice, Emmanuelle Bercot : on a connu des modèles bien moins avouables. Mais là où le savoir-faire, le culot et une certaine roublardise du cinéaste américain permettaient au film de maintenir un équilibre quasi miraculeux entre la thèse et le spectacle, Bercot s’enfonce dès les premières minutes dans un pastiche de film-enquête qui ne se relève jamais de ses parti-pris, plus que contestables. A commencer par un manichéisme ahurissant, qui conduit la réalisatrice à caricaturer jusqu’à l’absurde les représentants du laboratoire, les réduisant à des personnages de cartoon. Il faut les voir, grotesques à souhait, débiter des dialogues d’une médiocrité affligeante, se gargarisant du pseudo-amateurisme de l’équipe médicale de Brest, niant leur responsabilité avec une morgue digne du plus vilain sorcier chez Harry Potter. Face à eux, les « gentils » – nommons-les ainsi, puisque La Fille de Brest réduit tous ses personnages à de vulgaires marionnettes – bravent les épreuves en encaissant les doutes et la peur. Les gentils contre les méchants, et au milieu des victimes (presque) sans visage : par le truchement de cet axiome binaire, qui évacue toute ambiguïté au profit d’un confort rassurant pour le spectateur, Bercot soumet l’injustice du drame à une vision réductrice de l’humanité.
Au milieu du film, une scène illustre l’échec de la réalisatrice à représenter l’affreuse complexité de l’affaire : invités à présenter les résultats de leurs études à la commission de l’AFSSAPS, face aux représentants de Servier, les médecins de l’équipe de Brest bégayent, perdent leurs moyens face à l’adversaire, plus narquois et arrogant que jamais. Mais Bercot peine à créer la moindre tension, réduisant le doute à une crise de panique surjouée par un Benoît Magimel en roue libre, avant de procéder à un retournement de situation expédié à la va-vite au profit de nos héros. La rigueur scénaristique est ici évacuée au profit de la facilité cinématographique : la méthode Bercot consiste à dérouler son rouleau-compresseur narratif et à oublier qu’avant de transformer ses personnages en icônes d’un combat à la noblesse indiscutable, il s’agit aussi de se poser des questions de mise en scène.
Les pantins et la morale
Incarnée par la Danoise Sidse Babett Knudsen, formidable dans les séries Borgen et Westworld ou dans le cinéma plus expérimental de Peter Strickland (The Duke of Burgundy), Irène Frachon est dépeinte comme une femme de caractère, résolument déterminée dans sa bataille. L’intention est juste, mais le résultat est au mieux maladroit : l’actrice hurle chacune de ses répliques, contrainte de grimacer et d’éclater de rire pour insuffler un peu de légèreté à un personnage souvent alourdi par un didactisme pesant. Le déséquilibre, hélas, ne la sert pas, pas plus que les figures caricaturales qui l’entourent : le chef gentil mais faible incarné par Magimel, la journaliste forcément grande gueule du Figaro, le mari discret et aimant… Emmanuelle Bercot aime le combat qu’elle choisit de raconter dans La Fille de Brest. Elle aime ses héros ordinaires et leur revanche sur l’injustice. Elle oublie, malheureusement, ce que Rivette écrivait à propos de Kapo : « (…) ce qui compte, c’est le ton, ou l’accent, la nuance, comme on voudra l’appeler – c’est-à-dire le point de vue d’un homme, l’auteur, mal nécessaire, et l’attitude que prend cet homme par rapport à ce qu’il filme, et donc par rapport au monde et à toutes choses. »