La Sélection commence par un film dont on connaît déjà le programme : c’est le genre mauvaise graine, le film de garçon agité, du cinéma social dans sa veine bagarreuse et héroïque. Parce qu’il faut bien les citer, on mentionnera d’emblée les Pialat, Dardenne, et bien sûr un troisième venu d’un autre terreau, à savoir Xavier Dolan et son Mommy, si loin (de l’Amérique à la France, un tel film change totalement d’ADN) si proche (quelques mois seulement après le triomphe du Québecois, La Tête haute a des airs de match retour). Mais placer le film d’Emmanuelle Bercot au bout d’une lignée de (plus ou moins) illustres aînés ne serait pas vraiment lui rendre service.
C’est qu’il n’est pas tant ici question de cinéma social que de cinéma de services sociaux. Le territoire de La Tête haute, c’est l’arrière-pays de la République : un émiettement de chambres d’audience, de centres d’accueil et d’administrations en tout genre, où se joue un bras de fer ininterrompu entre l’homme et sa bureaucratie. Dès son plus jeune âge, et presque par hasard, Malony (Rod Paradot) échoue dans le bureau de la juge pour enfants, dont sa mère vient de claquer la porte. C’est un peu pour lui le rivage du Nil, tant la juge Blaque (Catherine Deneuve) deviendra pour lui une sorte de seconde mère, aimante et sévère, et son bureau un checkpoint régulier, généralement porteur de mauvaises nouvelles, mais parfois aussi de bonnes.
Le défaut essentiel du film est d’être ainsi balisé par les va-et-vient de Malony dans les structures de redressement et les tribunaux, plutôt que par son début de vie d’homme. Une mère défaillante, un amour naissant, les craintes et les désirs de l’adolescence, tout cela fait figure de point d’appui, de background personnel, pour un film dont l’architecture dramatique est en fin de compte celle d’un dossier de suivi individuel, un long bout-à-bout d’audiences judiciaires et de passages en centre social. Un plan sur l’écran de la greffière, rapportant scrupuleusement les paroles de Deneuve et Paradot, propose d’ailleurs bien malgré lui une saillie ironique au milieu du film : c’est presque le scénario qui s’écrit froidement sous nos yeux, et il est du niveau d’un procès-verbal.
Après, tout de même, La Tête haute a de la tenue, de la chair, enchaînant sans sourciller des scènes sous haute tension, qui ne laissent jamais le film s’attiédir. « Révélation » du film (pour un tel rôle, c’est inscrit dans le contrat), Rod Paradot ne démérite pas – pas tant lorsqu’il gueule que justement lorsqu’il chancelle, perd pied, et donne à voir un crépitement intérieur plus fragile et ancien, une turbulence de petit garçon, pleurnichant au milieu des crises de colère. C’est certainement la seule partie un tant soit peu originale d’un film, qu’on a, encore une fois, l’impression d’avoir déjà vu ; laissons donc ce garçon s’en tirer, effectivement, « la tête haute ».