Depuis vingt ans, Kusturica rime avec fantaisie et gravité timbrée. Depuis quelque temps, avec Chat noir, chat blanc et La vie est un miracle, Kusturica nous donnait une légère impression d’auto-caricature, impression confirmée par son Promets-moi. Le réalisateur serbe nous donne toujours à voir des jeunes filles craquantes de fraîcheur, des situations cocasses et délurées, mais en fait bien trop dans le son et le voyant pour ne pas énerver.
Entre un générique en tourbillon et des premières séquences filmées en rasant la terre, on retrouve immédiatement l’originalité du cinéaste d’Underground et du magnifique Temps des Gitans. Univers multiples, foisonnants, les marottes de Kusturica ont longtemps réjoui ses admirateurs. Et pourtant, le moment est arrivé où notre musicien du cinéma perturbe dans la volonté d’exagération de ses propositions cinématographiques. C’est dans un paysage de neige qu’il nous accueille : dans un hameau perdu dans l’immensité rurale serbe, un jeune homme vit avec son grand-père. Ce dernier pense qu’à quatorze ans, il est temps de penser à prendre femme. Inventeurs, éleveurs d’une vache, les deux hommes vivent en paix (mais déjà en bruits) avant que le petit Tsane ne parte à la ville. Il y a toujours eu chez Kusturica cette idée de l’île « tranquille », de la terre isolée, sortie du monde et de ces turpitudes. On la retrouve ici dans la colline de Tsane.
Kusturica est une sorte d’isolationniste de la poésie et de son pays. Outre les divers ressorts comiques qu’il n’a pas inventés mais recrées pour lui, il continue à développer ses obsessions de scénario : l’émoi amoureux de la jeunesse, et surtout la coupure entre ville et campagne, entre une Serbie belle, panoramique et l’autre Serbie, enfermée dans les systèmes mafieux et la violence. Le propos n’est cependant jamais réellement politique, il est un rêve, qui manque cette fois de légèreté et de finesse. On trouve toujours cette tendresse aux êtres vivants dans Promets-moi, notamment dans la relation du grand-père à son petit-fils. Tout comme la Serbie, Tsane a une mémoire mais pas de parents, pas de stabilité absolue. Ainsi ce film reste-t-il malgré tout un témoignage talentueux de la représentation par un réalisateur de son pays, et de la solution qu’il trouve dans le cinéma pour le réunifier. Mais le film pêche, et ce n’est pas rien, par le systématisme des trouvailles cinématographiques de Kusturica.
L’acuité des détails est trop souvent forcée, répétitive et masque presque toujours l’originalité du cadre : une des premières scènes a lieu dans l’école du village. On décapsule les bières, leurs bruits servent de prétexte à un feu d’artifice de sons en tous genres, tous plus oppressants les uns que les autres, étouffants dans leur niveau sonore et dans leur nombre. Outre le fait que nos tympans finissent par frôler l’éclatement, Kusturica en rajoutent dans les mouvements de caméra et au sein de l’image : pendant que les sons fusent, les portes claquent, le montage s’accélère comme pour gonfler artificiellement un rythme qui n’existe que parce qu’il bourdonne. Cette exagération de forme sonne-t-elle le glas de Kusturica ? On ne peut aller jusque là sans doute. Mais il est nécessaire de constater que les tirades anti-américaines un peu faciles sont à l’image d’une certaine auto-parodie du réalisateur dans un trop-plein de mouvements. Même l’idée de transgression, notamment sexuelle, devient rapidement gentillette. La corruption et l’inégalité existent chez Kusturica mais sont sans cesse balayées ici par le plaisir personnel que semble prendre celui-là à remplir son film de sketchs potaches et fanfarons. La symbiose entre vision contemporaine et lyrisme était réussie dans Underground ou Le Temps des Gitans. Ici, elle n’est qu’effleurée entre deux gags dont le volume sonore ne cache pas l’absence de fond.