On reproche souvent aux films à sketches d’être inégaux. C’est très injuste. Prenez ces Enfants invisibles : les sept courts métrages qui le composent font preuve d’une belle homogénéité. Ils sont tous aussi médiocres les uns que les autres.
Les Enfants invisibles rassemble sept courts métrages d’un peu moins de vingt minutes chacun en moyenne, commandés à des cinéastes de tous pays par la productrice italienne Chiara Tilesi et la chaîne de télévision RAI Cinéma pour être projetés à la Mostra de Venise en 2005. Il n’est distribué qu’aujourd’hui sur les écrans français. Au premier abord, ces quatre années d’attente intriguent, d’autant que des réalisateurs comme Ridley Scott, Emir Kusturica, Spike Lee et John Woo sont connus et appréciés du grand public. Une fois le film vu, on peut comprendre qu’il sorte si tardivement et en catimini, en plein festival de Cannes : Les Enfants invisibles rassemblent les œuvres les plus faibles de cinéastes reconnus et les essais peu convaincants de réalisateurs débutants.
Tanza du Français Mehdi Charef (un enfant-soldat dans un pays d’Afrique en guerre) souffre du syndrome de la belle image : une mise en scène trop léchée, trop scolaire, qui éloigne des personnages et du récit.
Blue Gypsy du Serbe Emir Kusturica (un jeune garçon ne veut plus que ses parents l’obligent à voler) est affligé des mêmes défauts que tous les films récents de ce cinéaste : laideur agressive, musique tapageuse, hystérie permanente, poésie de pacotille, humour à base de burlesque lourdaud et répétitif, fascination trouble pour les gallinacées. Soûlant.
Jesus, Children of America de l’Américain Spike Lee (une petite fille apprend que ses parents toxicomanes lui ont transmis le sida à sa naissance) est, par comparaison, tout de suite beaucoup plus regardable, mais n’a rien de mémorable et verse rapidement dans le sentimentalisme facile. C’est pourtant le plus honnête, le moins mauvais du lot.
Bilu & Joao de la Brésilienne Katia Lund (vingt-quatre heures de la vie de deux enfants des rues à São Paulo) est réalisé comme un clip et illustre une idée très pauvre : grâce à leur débrouillardise et la chaleur humaine qui les entoure, les deux enfants des bidonvilles parviennent à trouver le bonheur au quotidien. « D’habitude, dans mon travail, je traite de la violence, de la délinquance et de la drogue. Cette fois, je voulais traiter du dynamisme du travail – là où réside l’espoir, finalement.», confie la réalisatrice, qui a participé au tournage de La Cité de Dieu. Et d’ajouter : « Je voudrais que le public ne retienne que l’humour, l’énergie, la créativité et l’incroyable personnalité de ces deux enfants.» En effet, on ne voit que ça : une misère esthétisée et euphémisée par une mise en scène publicitaire. Un film bête et beau comme une chanson d’Aznavour.
Jonathan du Britannique Ridley Scott et de sa fille Jordan (un photo-reporter de guerre, angoissé à l’idée de repartir sur le front, part en forêt et retombe en enfance) est une fable assez lourde, qui présente l’enfance comme une période magique, dont l’adulte confronté à la violence du monde doit se souvenir pour trouver le courage d’aller de l’avant. Gentillet.
Ciro de l’Italien Stefano Veneruso (des enfants des rues à Naples volent le propriétaire d’une Mercedes pour s’offrir un tour de manège) reste assez quelconque : l’esthétique est comparable à celle de Bilu & Joao, mais le message est sensiblement le même que celui de Jonathan.
Song Song et Little Cat, du Hongkongais John Woo (la rencontre d’une petite fille riche mal aimée et d’une pauvre orpheline), c’est un peu la cerise sur un gâteau déjà bien chargé en sucre. Dégoulinant de mièvrerie, le film écœure par ses effets faciles, et ses gros plans au ralenti sur les visages de fillettes qui grimacent leurs sourires. Le message ? L’argent ne fait pas le bonheur, l’important c’est d’être aimé. Attention aux crises d’hyperglycémie.
De ce condensé indigeste de world cinema, on retiendra – une fois de plus – que les bonnes intentions ne font pas les bons films. Les producteurs ont voulu faire œuvre caritative : Les Enfants invisibles est notamment soutenu par l’Unicef et le World Food Programme. Son but avoué et donc d’émouvoir le spectateur occidental pétri de mauvaise conscience, et de lui faire si possible mettre la main au portefeuille pour soutenir de nobles causes. Cela explique sans doute que le film reste aussi sagement apolitique, ne désigne que des victimes mais aucun coupable, et se contente de jouer sur la seule corde émotionnelle. En cela, il fait penser à cette publicité obscène de Médecins du Monde, qui martèle «[qu’]oublier c’est humain, agir aussi » pour mieux racketter le citoyen « coupable » d’inaction. Et une publicité caritative de plus de deux heures, c’est long.