Il y a trois ans sortait, au cœur de la torpeur estivale, La Traversée du temps, un petit film d’animation que personne n’attendait vraiment. On y suivait le parcours d’une jeune fille qui se découvrait le pouvoir de remonter dans le temps, rencontrait l’amour et apprenait les responsabilités – en un mot : mûrissait. Sans être inoubliable, cette œuvre au propos délicat distillait un charme ténu mais tenace. C’est donc avec un intérêt certain que l’on découvre le film suivant du réalisateur Mamoru Hosoda, une déclinaison moderne des Tron et des War Games d’antan… et c’est avec une réelle tristesse que l’on se retrouve à ne pas l’aimer du tout.
Dans un futur proche, le monde entier est connecté à Oz, une plate-forme multimédia qui centralise services, loisirs et même administrations et institutions. Kenji, un jeune lycéen brillant, vient passer quelques jours d’été à la campagne à la demande de sa jolie camarade Natsuki qui, à sa grande surprise, le fait passer pour son fiancé auprès de sa riche famille. Quand un programme malveillant s’attaque à Oz, plongeant dans le chaos les deux mondes – le réel, le virtuel –, Kenji et la famille de Natsuki se retrouvent au cœur de la tourmente.
Plus complexe et ambitieux que La Traversée du temps, Summer Wars tente, avec un bonheur relatif, d’associer deux techniques d’animation correspondant aux deux cadres du récit. Si le dessin traditionnel utilisé pour les scènes situées dans le « monde réel » déçoit malgré quelques beaux décors – la faute à une animation sommaire et à des personnages aux traits parfois grossiers –, les images numériques qui prévalent dans Oz offrent quelques visions saisissantes. Malheureusement, elles sont progressivement contaminées par une esthétique de mauvais jeu vidéo, qui vire au kitsch lors d’un happy end ridicule.
Summer Wars ne fait pas que mélanger les styles, c’est également un étonnant patchwork de genres et d’ambiances. Mais rien ne prend vraiment. L’hystérie toute nippone des personnages est plus pénible que comique, les émois du héros godiche et de son amoureuse nunuche peinent à captiver. Surtout, le décalage entre l’ampleur de la catastrophe et le cadre resserré de sa narration – une réunion familiale –, pourtant intéressant sur le papier, produit peu d’étincelles.
On cherche alors à se raccrocher au discours du film. À la lecture du synopsis, on pouvait en effet s’attendre à une évocation des dangers des réseaux sociaux au travers d’une fable d’anticipation. Voilà qui aurait constitué un beau et louable projet, tant la sphère de l’intime et de la vie privée se réduit aujourd’hui à peau de chagrin, avec la participation active de ceux-là même qui pâtiront demain de cette fâcheuse évolution. Mais Summer Wars délaisse ce sujet en or au profit d’un discours confus et idéologiquement à côté de la plaque. Oz, espace de centralisation de données effrayant et totalitaire sous ses dehors kawaii, est en effet présenté comme un sympathique terrain de jeux et un outil bénéfique, parfaitement intégré à la vie quotidienne des personnages qui naviguent sans cesse et sans mal entre le monde matériel et celui de l’information numérique. Ses concepteurs et propriétaires ne sont jamais nommés – Oz est un Éden décentralisé, à l’abri des luttes de pouvoir et des pesanteurs économiques et sociales. On est bien loin de l’inquiétant cyberespace décrit par Ghost in the Shell et autres œuvres visionnaires.
Car le vrai propos de Summer Wars est ailleurs. S’il surfe sur la mode Facebook et compagnie, il cherche avant tout à célébrer le génie japonais. Anomalie maléfique dans un univers rose bonbon, ouaté et technophile, le virus s’apparente bien sûr à un démon venu d’ailleurs, et le dysfonctionnement dévastateur qu’il provoque n’est au fond qu’un prétexte pour rassembler la nation toute entière sous la bannière d’une vieille famille aristocratique qui symbolise et condense toutes les vertus nippones : respect des coutumes, pugnacité, attachement au clan, sens de l’honneur et du sacrifice. Le nationalisme latent de Summer Wars n’est finalement guère plus sympathique que celui des films-catastrophes hollywoodiens dont il constitue à la fois la réponse et le miroir inversé. D’ailleurs, le virus ne vient-il pas d’Amérique ?