À voir Digimon – le film (2000), nul n’aurait parié sur Mamoru Hosoda. Force est de constater que, une sensible Traversée du temps et un ébouriffant Summer Wars plus tard, nous avons affaire à un réalisateur qui outrepasse, avec discrétion et subtilité, les limites supposées de l’animation. Poursuivre sur sa très prometteuse lancée s’annonçait, pour le moins, difficile. Avec Ame et Yuki, Mamoru Hosoda ouvre pourtant encore une porte nouvelle sur son univers fin et touchant.
L’art du magicien, du prestidigitateur, précède celui du cinéaste, mais utilise le même ressort intime : ce que l’on croit voir, c’est ce que l’on croit. Pour un spectateur japonais, l’univers convoqué par Mamoru Hosoda, pétri de croyances folkloriques toujours bien présentes, n’est pas surprenant. Pour les Occidentaux, en revanche, le parti pris du réalisateur d’une narration sans aucune distance ironique avec son sujet merveilleux, fantastique, constitue un charme supplémentaire.
Mais peu importe, finalement : pour fantastique qu’il soit, l’argument d’Ame et Yuki – ou la vie d’une mère humaine qui doit élever les deux enfants de feu son compagnon, un être mi-homme mi-loup – n’est pas placé au centre de la narration. Paradoxalement – de prime abord, au moins – le fantastique est utilisé pour étançonner le réel, le renforcer : c’était d’ailleurs déjà le cas dans Summer Wars, ou le fantastique pur prenait place dans le monde virtuel informatique, et répondait aux interactions sociales dans le monde réel. À la conjonction des deux, le film prenait un tour délirant, au sens propre, qui établissait un lien fort, un pont narratif et sensoriel d’une superbe efficacité entre les deux versants du récit.
D’où, l’animation. Selon le même rapport de force, c’est par un média toujours considéré comme irréel que Mamoru Hosoda veut renforcer la réalité de son récit : on est ainsi toujours dans le paradoxe perçu. Là où Ame et Yuki diffère de son prédécesseur, c’est que Summer Wars, avec son rythme échevelé, laissait tellement peu le temps au spectateur de reprendre son souffle que le mouvement du film tout entier suffisait à son homogénéité. Ame et Yuki, en comparaison, fera figure de récit calme, posé, où les éléments perçus comme réels – à savoir le récit de l’éducation de deux jeunes enfants différents, ostracisés par essence – prennent le pas sur la description fantastique de ladite différence.
La direction artistique, qui met l’accent sur la choupinetterie absolue des deux adorables bambins-louveteaux, n’en fait pas pour autant un gimmick pour le film : pour terriblement mignons qu’ils soient, Ame et Yuki n’en sont pas moins, avant tout, des petits dont on perçoit rapidement, et avec une acuité accrue, que cette beauté si touchante sera la source de terribles conflits, une fois affrontée au monde des humains normaux. C’est au fil d’une narration tout en ellipse qu’on se rendra, profondément, compte des difficultés à venir : Hosoda choisit les moments de cette vie de famille comme si l’on se plaçait du point de vue de la mère, feuilletant l’album de ses souvenirs – avec, chose miraculeuse et qui n’est pas seulement due au design des personnages, une tendresse pour eux tout à fait réelle.
Plus que dans tout ses autres films, les préoccupations humanistes de Mamoru Hosoda transparaissent dans Ame et Yuki. Le réalisateur a à cœur de créer à l’écran une humanité crédible, touchante, dont à la fois la beauté, les tourments et la cruauté sont appuyés, formellement et narrativement, par les possibilités offertes par le média de l’animation. Le réalisateur se rapproche d’Isao Takahata, dont les films plus (Pompoko, Panda petit panda) ou moins (Le Tombeau des lucioles, Mes voisins les Yamada, Kié la petite peste) délirants ont toujours eu une résonance humaine (qui s’exprime le plus fortement dans son magnifique Omohide Poroporo). La touche personnelle de Hosoda se perçoit surtout dans l’énergie qu’il met à créer son univers, une énergie débridée dans La Traversée du temps et Summer Wars, qui est toujours présente de façon plus mature, mieux canalisée, dans Ame et Yuki.
Avec ce nouveau film, Mamoru Hosoda transforme l’essai de Summer Wars et donne véritablement corps à son univers, conjugaison harmonieuse de sensibilité et de magie. L’alchimie présente, entraperçue dans le film précédent, portait en elle-même ses propres limites : une rencontre formelle originale, autosuffisante. Avec Ame et Yuki, le réalisateur persiste dans cette veine, et parvient, de par ses choix narratifs, à briser ce carcan. Gageons qu’il ne faudra à présent plus très longtemps pour que Mamoru Hosoda soit reconnu comme un auteur majeur – si ce n’est pas déjà le cas.