La Traversée du temps, roman phénomène au pays du Soleil Levant écrit dans les années 1960, a connu nombre d’adaptations au cinéma ou à la télévision. Chacune de celles-ci a repris le matériau originel pour dresser le portrait de la jeunesse d’une époque. Mamoru Hosoda, auteur d’un oubliable (et aujourd’hui oublié) Digimon : The Movie, situe son action dans l’époque contemporaine, et livre un film moins naïf qu’il n’y paraît.
Makoto est une jeune fille tout ce qu’il y a de plus normale, amie de Chiaki et Kôsuke, deux garçons de son école. Elle évite les désagréments, vit une vie tranquille et plutôt agréable – enfin, comme elle le dit elle-même, « jusqu’à aujourd’hui ». Aujourd’hui, c’est le jour où tout va mal, et tout ce qui peut arriver de pire, arrive – jusqu’à un de ses deux amis qui finit par lui avouer de tendres sentiments, dont elle ne sait que faire. La demoiselle est donc bien soulagée lorsqu’elle se rend compte qu’inexplicablement, lui a été accordé le don de revenir dans le temps. Elle se met, alors, à jouer de la puissance que lui confère ce don, pour vivre sa vie de la façon la plus insouciante possible – jusqu’au moment où elle prend conscience des responsabilités que lui impose ce nouveau pouvoir.
Lorsque Hayao Miyazaki déclare le lancement de son projet Le Voyage de Chihiro, il dit vouloir faire prendre conscience à la jeunesse de son pays de l’importance du travail et des responsabilités. S’il traite le sujet bien autrement, La Traversée du temps reste dans la même veine intellectuelle, et n’oublie pas que dans le genre de la « comédie sociale », les deux termes importent autant. De la comédie, point n’est besoin de chercher bien loin : le film exploite avec bonheur les possibilités burlesques des retours dans le temps, d’autant que Makoto a besoin pour se servir de son don de se lancer dans d’impressionnantes acrobaties physiques, donnant au film un côté très slapstick. Le côté social, cependant, est plus ténu. La Traversée du temps, comme Chihiro, dresse subtilement le portrait d’une jeunesse heureuse d’être déresponsabilisée. Et comme le film de Miyazaki, La Traversée du temps se refuse à tout dogmatisme. Point n’est ici besoin de grands discours pour percevoir le sous discours distillé par le film : à un moment, on doit prendre les responsabilités pour ses actes, cesser de fuir.
Yoshiyuki Sadamoto, responsable du design des personnages, a choisi de leur donner un style relativement simple, proche des productions animées pour la télévision. Les arrière-plans, plus discrets, sont comparativement bien plus travaillés. Mais il appartient donc à l’action seule de palier le manque relatif de charisme de ses protagonistes. Passant doucement d’un montage très axé sur le côté répétitif drolatique de la situation de Makoto vers un récit plus humain et plus poignant, La Traversée du temps emporte subtilement son spectateur. La seconde partie du film, délaissant l’efficacité pure, recèle quelques séquences tout à fait remarquables (on retient notamment l’étonnante scène où plusieurs protagonistes devisent dans un monde au temps arrêté, et finissent par se perdre dans une foule immobile ; ou bien la superbe scène où Makoto court, littéralement, contre le temps et contre la vitesse fictive de l’image filmée, qui reste peut-être le plus beau moment de mise en scène du film). L’insertion des images purement numériques, seule, laisse véritablement à désirer, tant le contraste entre elles et les images dessinées apparaît flagrant.
Récit fictionnel à plusieurs niveaux, La Traversée du temps a, comme ses héroïnes, traversé les époques. L’héroïne du livre originel, Kasuko Yoshiyama, est à présent la « tante sorcière » de Makoto. Elle avoue même « Moi aussi, je sais voyager dans le temps : il passe tellement vite qu’on n’a même pas l’impression de l’avoir vécu. » La poésie inhérente à cette répétition fictionnelle échappera certainement aux auditoires autres que japonais, mais en l’état, La traversée du temps reste un film riche de sens, et cinématographiquement pertinent.