En choisissant de porter à l’écran l’ouvrage de la romancière anglo-indienne Jhumpa Lahiri, Mira Nair retrouve son sujet de prédilection, l’identité indienne, qu’elle avait plus ou moins délaissé dans son précédent film, Vanity Fair, adaptation « à costumes » de l’œuvre du Britannique William Thackeray. Avec l’histoire de cette famille indienne émigrée aux États-Unis et perdant peu à peu ses repères, Mira Nair développe un thème qui tient particulièrement à cœur à tous les Indiens émigrés à l’étranger comme elle (les NRI, Non-Resident Indians). Est-ce justement parce que la réalisatrice s’est sentie trop concernée par son film qu’Un nom pour un autre n’est qu’imparfaitement réussi ?
Quand Ashima rencontre Ashoke, il lui suffit d’enfiler son pied dans la grande chaussure « américaine » du jeune homme pour savoir qu’elle veut passer le reste de sa vie avec lui. Quant à Ashoke, il n’a pas besoin d’écouter jusqu’à la fin le poème anglais qu’Ashima lui récite. Ses grands yeux timides suffisent à le conquérir. Les jeunes gens n’ont de toute façon pas vraiment le choix : car Ashima et Ashoke se sont rencontrés par mariage arrangé, une coutume millénaire en Inde, et qui perdure aujourd’hui. L’amour, dit-on, vient après la cérémonie. Dure conquête, lorsque l’on est obligé de quitter le pays qui nous a vu naître et de suivre son cher et tendre époux vers une terre étrange et aussi peu hospitalière que les États-Unis…
L’apprentissage de la vie de couple entre Ashoke et Ashima est la plus belle réussite de Mira Nair. Tous deux déracinés, cherchant à s’intégrer à une société à laquelle ils ne comprennent rien, ils vont s’appuyer l’un sur l’autre, non pas vraiment pour s’adapter à leur nouvelle vie, mais pour retrouver quelque chose de leurs racines. Ashoke et Ashima n’ont pas vraiment quitté l’Inde, puisqu’elle les a suivis dans leur amour naissant. Et cet amour va se décliner dans la tendresse retenue, l’impossibilité de montrer ses sentiments qui fondent la culture indienne, comme dans cette belle scène où Ashima demande à son mari, après plusieurs années de mariage, s’il veut qu’elle lui dise qu’elle l’aime… Les personnages sont ici servis par une interprétation parfaite : Tabu et Irrfan Khan ont laissé de côté la grandiloquence de Bollywood pour une composition très tendre et mélancolique, parsemée de moments d’humour vraiment réussis.
Mira Nair convainc moins dans la suite du récit, lorsqu’apparaît le personnage central du film, le fils du couple, prénommé « Gogol » car l’écrivain russe est l’auteur préféré de son père. Arrivé à l’âge adulte, Gogol se retrouve affublé de trois noms : ce surnom qu’il déteste et qui le fait tourner en ridicule auprès de ses amis américains ; Nikhil, son véritable prénom bengali qu’il refusait de porter lorsqu’il était enfant et Nick, la variante américaine de Nikhil. Trois noms, trois identités : de manière assez classique, Mira Nair va ainsi dérouler l’éternel problème des immigrés de seconde génération : d’où viennent-ils ? à quelle société appartiennent-ils ? comment réussir la délicate fusion entre deux cultures ? Au cinéma, ces problématiques sont très difficiles à mettre en images et plutôt que de les suggérer, la cinéaste fait l’erreur de les imposer, comme dans cette scène où Gogol (Kal Penn, manquant de maturité) confie à sa petite amie blanche le BA-ba de la conduite à tenir face à ses parents : ne pas s’embrasser, ne pas se tenir la main… Bien sûr, la blonde écervelée (Jacinda Barrett, décidément très mauvaise actrice) ne pourra s’empêcher de céder à ses penchants occidentaux. Si Un nom pour un autre n’était pas réalisé par une Indienne, cette séquence aurait très vite été taxée de caricaturale…
Gogol, bien sûr, finira par se mordre les doigts d’avoir rejeté ses parents, de s’être tant moqué de leur culture. En acceptant son nom, mais aussi l’échec de son mariage « arrangé » avec une Indienne, il accepte sa double identité, et se réconcilie avec lui-même. Mais fallait-il pour autant que cette démonstration durât deux heures ? Le personnage ne prend pas assez de consistance pour empêcher qu’Un nom pour un autre ne tombe dans l’ennui du film à thèse assez mal pensé. Il n’en reste pas moins une évidente sincérité de la réalisatrice, prise dans les filets d’un sujet trop autobiographique, et un réel talent pour filmer l’Inde, ce pays mystérieux et mystique, objet d’une très belle scène finale, entre magie et éternité.