Pour sa 22ème édition, le festival parisien « Chéries-chéris » a présenté du 15 au 22 novembre 2016 le dernier fleuron du cinéma LGBT international à travers 50 longs métrages et 70 courts métrages. Fictions, documentaires, séances spéciales et films érotiques étaient au programme des 80 séances dans deux cinémas MK2 parisiens. Grand vainqueur de la compétition, L’Ornithologue de João Pedro Rodrigues, en salles cette semaine, a reçu le Grand Prix du Jury ainsi que le Prix du Public. Quels étaient les autres joyaux du festival et quelles sont les grandes thématiques de 2016 ? Critikat vous propose un bilan de cet événement haut en couleurs.
La lumière de l’interdit
Le combat pour les droits LGBT – il faut d’ailleurs compléter l’acronyme par Q pour Queer et I pour Intersexe cette année – est évidemment politique, face aux menaces qui continuent d’exister dans le monde entier. Dans le film israélien Barash de Michal Vinik, lauréat du Prix du Jury, l’amour y transgresse plusieurs interdits. On y dépeint le coup de foudre lesbien d’une lycéenne israélienne en conflit avec son père tandis que sa sœur, éprise d’un Arabe, a disparu. Solaire grâce à sa photographie dorée et porté par ses personnages en quête de liberté, le film n’est sans rappeler Mustang. Le couple de jeunes femmes est magnétique, aussi insouciant qu’inquiétant dans son rapport avec la drogue. Le film est pourtant moins atypique que Brothers of the Night de Patric Chiha. Ce docufiction présente des jeunes hommes bulgares ayant migré à Vienne pour faire vivre leurs femmes et enfants restés dans leur pays d’origine. Pour se faire, ils se prostituent avec des hommes. Avec une esthétique travaillée, une brume multicolore entourant les héros parés de blousons en cuir tels Marlon Brando dans L’Équipée sauvage, ce film croise des conversations dans un nightclub vide, semblable à une scène de théâtre. Recevant le Prix d’Interprétation pour ses acteurs, le réalisateur déclara très justement « je suis content que mes garçons ne soient pas seulement des objets de désir, c’est parfois le risque dans un festival LGBT ».
Les incarnations du beau
Le film d’ouverture, King Cobra de Justin Kelly, semblait d’ailleurs questionner le pouvoir de fascination du beau avec l’acteur au physique angélique Garrett Clayton. L’ascension de Brent Corrigan, star du porno gay, décrite par son producteur joué par James Franco sur un fond d’électro souffre de quelques crises de nerfs grotesques mais parvient à faire froid dans le dos. King Cobra révèle en effet les méthodes utilisées par les producteurs pour manipuler les éphèbes démunis, sans tenir aucun discours moral quant à la pornographie. L’irrésistible désir est également évoqué dans le canadien Closet Monster de Stephen Dunn où le héros, n’ayant pour confident qu’un hamster, est bouleversé par le charisme du personnage de bad boy joué par Aliocha Schneider. Entre la fraîcheur poétique de Xavier Dolan et la tension meurtrière de David Cronenberg, ce coming-of-age est assez envoûtant bien que souvent attendu. Moins surprenant certes que Tomcat de Klaus Handl, film autrichien sur l’intimité d’un couple gay partageant la passion de la musique classique. Un jour, l’un d’entre eux tue accidentellement leur chat Moïse. Sans leur prophète, leur relation s’effondre et le coupable perd même un œil, comme un Œdipe voulant garder sa place au Jardin d’Eden. Ici c’est donc le chat qui représente le sacré. S’il manque de rythme, Tomcat n’en est pas moins contemplatif et élégant.
Le sexe sans sentiment
Arielle Dombasle, marraine de l’événement, s’était exclamée lors de la cérémonie d’ouverture « je vous souhaite de jouir !». Les relations sexuelles LGBT étaient bien au cœur de nombreux films, parfois sans aucun sentiment amoureux. C’est le cas de Jours de France de Jérome Reybaud où le héros quitte son compagnon parisien pour parcourir la province au gré de Grindr, application de rencontres gay géolocalisées. Véritable chasse à l’homme campagnarde ponctuée de bruits de clignotants, ce film offre de très jolis plans séquences mais est malheureusement desservi par la fragilité du jeu des interprètes. De plus, il est regrettable que le récit ne soit pas plus riche. Des courts métrages exploraient également la vacuité des « plans » comme le très sensible Herculanum d’Arthur Cahn avec Jérémie Elkaïm. L’un est sous le charme, mais l’autre est dans une relation libre et semble inaccessible. Cette tension illustre le titre volcanique, atteignant son paroxysme lors d’une discussion sur l’oreiller très originale car dans le noir total. Y voit-on encore moins clair sans sentiment ?
En présentant des films LGBT primés dans le monde entier, « Chéries-chéris » permet de donner une visibilité à un cinéma plus confidentiel tout en posant les questions du genre et de la sexualité. Comme le rappelle la programmatrice Olivia Chaumont, le défi est également d’attirer des publics non-LGBT(QI). Défenseur de l’amour libre, « Chéries-chéris » 2016 nous aura raconté de très belles histoires. Seul bémol peut-être : la rareté des personnages fictifs engagés dans un combat pour changer leur propre vie ou le monde qui les entoure. Quant aux nombreuses intrigues amoureuses, devrait-on rêver à un cinéma sans étiquette où la sexualité des personnages ne serait qu’un élément contextuel ? Le débat reste ouvert. Les festivités ont en tout cas été clôturées par l’hilarant Absolutely Fabulous, une expression à l’image de l’espoir que le festival véhicule. En espérant que la prochaine édition le soit encore plus, il ne nous reste plus qu’à remercier « Chéries-chéris » pour tout le travail gaiement accompli.