Après Mirrors avec Kiefer Sutherland, voici de nouveau les miroirs à l’honneur dans un film fantastique cette année. De la part du jeune réalisateur de l’inégal mais superbement esthétisant Cashback, Sean Ellis, on eût pu s’attendre à une variation sur le sujet visuellement unique, à l’image de son premier film. Hélas, entre les circonvolutions d’un scénario emberlificoté mais cousu de fil blanc et une étonnante timidité visuelle, Sean Ellis réalise un film convenu, froid et creux.
Tout va pour le mieux dans la vie de la Londonienne Gina McVey : un boulot de laborantine qui la passionne, un petit ami beau et attentionné, une famille unie… Seule étrangeté, le jour de l’anniversaire de son père, le grand miroir placé en vis-à-vis de l’heureuse petite famille explose sans raison apparente. Sur le moment personne n’y prête réellement attention. Mais lorsque, le lendemain, Gina croit se croiser elle-même dans la rue, elle commence à se poser des questions – tant et si bien qu’accaparée par ses pensées, elle se retrouve victime d’un accident de voiture qui lui brouille la mémoire. Hantée par des bribes d’images de cette étrange journée, elle tente de s’en ouvrir à son petit ami, mais celui-ci, de doux et sympathique, se retrouve être devenu un monstre indifférent et violent. Que s’est il passé depuis que le miroir s’est brisé ?
À la lecture du pitch de The Broken, le fantasticophile – littéraire ou cinéphile – sent la puce lui gratouiller l’oreille : ne serait-on pas en train de nous resservir la soupe ô combien de fois réchauffée du thème du double ? Non que cela soit une mauvaise chose, cette thématique étant, d’une part, tout de même l’une des clés de voûte de la réflexion (pardonnez le jeu de mots) autour de l’individu dans l’objet cinéma, et d’autre part à l’origine de films tout à fait remarquables. Et Sean Ellis de ne pas faire de mystère longtemps : dans une scène au montage ne laissant aucune ambiguïté, Gina se voit clonée dans le monde réel par son double sorti d’un miroir. Reste la très grande question : pourquoi et comment le double de Gina s’est-il incarné ?
Reprenant les options visuelles superbement angoissantes de John Carpenter dans Prince des ténèbres, Sean Ellis adapte son monde des miroirs à son univers visuel, qui est avant tout celui de sa photographie – une photographie pure déjà passablement envahissante dans son premier film, Cashback. Cependant, là où, malgré tout ses défauts, Cashback avait réussi à force de témérité et d’intégrité visuelle à imposer la présence de cet univers photographique à l’écran, The Broken reste bien en deçà de son prédécesseur, se contentant d’illustrer un propos fantastique grossièrement tenu et cousu de fil blanc grâce à un esthétisme sage et froid. Esthétisme qui eût certainement convenu à l’ambiance glacée d’un Londres envahi par le monde des miroirs – si Sean Ellis avait tenu avec la même rigueur que dans Cashback à maintenir un univers visuel singulier à l’écran.
Mais le réalisateur semble ici assagi : même si son univers visuel, d’une froideur clinique, semble vouloir transparaître, il ne sait pas vraiment le mettre au service du récit, ne semble pas vouloir réellement le mettre en scène. Reste donc de The Broken un déroulement attendu, logique et convenu, comme si Sean Ellis avait eu peur de s’affronter au genre codifié du film fantastique : Cashback lui avait donné l’opportunité de mettre réellement en scène son univers visuel photographique, et en cela avait été une réussite. The Broken, où l’univers du cinéaste doit se plier aux lois d’un genre, montre que Sean Ellis ne parvient pas à préserver un équilibre entre univers cinématographique encore à définir et univers photographique visuel très marqué.
Pourtant, certaines options narratives sont déjà très heureusement affirmées, et notamment ce qui concerne le monde des miroirs : toute la question est nébuleuse, et jamais on ne saura vraiment les raisons de l’intrusion des reflets dans notre monde, ni même le mysticisme qui préside à l’existence de ce monde-reflet. En découle une définition nébuleuse du monde, une isolation vis-à-vis du réel qui rappelle les arcanes du récit fantastique littéraire tel qu’il était également utilisé dans la série de référence de La Quatrième Dimension – un fantastique subtil, qui misait beaucoup sur la suggestion. Cette singularité – au vu d’un fantastique plus généralement démonstratif – constitue une véritable qualité pour le « style Ellis », un style qui gagnerait cependant à être un peu mieux défini.