Ce nouveau film d’épouvante d’Alexandre Aja, très maîtrisé dans sa forme et solidement interprété par Kiefer Sutherland, souffre d’un sentiment de déjà-vu en raison de ses nombreux emprunts au monde cinématographique et vidéoludique. Il reste toutefois intéressant car le réalisateur ne se contente pas de copier ses œuvres favorites ; il crée des figures qui relèvent de la réminiscence, voire même du simulacre, toutes références étant floues et incertaines.
Après La colline à des yeux, qui était supérieur à la version de Wes Craven, Alexandre Aja nous livre un nouveau remake, en l’occurrence du film coréen Into the Mirror (inédit en France). Le métrage nous raconte l’histoire d’un ancien flic (Kiefer Sutherland) séparé de sa famille et forcé de démissionner, suite à un accident qui a coûté la vie à son collègue. Reconverti en veilleur de nuit, il garde un grand magasin brûlé et laissé à l’abandon, dont les miroirs sont hantés par une présence maléfique.
Grâce à ce scénario, l’œuvre cherche à figurer notre dépendance à l’image, à la manière d’Aja qui est dépendant de sa cinéphilie. Sutherland, qui interprète avec talent un personnage dépressif, ne peut accepter son reflet dans un monde qui n’est que surface. Le générique du film représente de belle manière cette idée, avec une ville et des buildings filmés comme de gigantesques miroirs. Ce personnage, torturé par les échecs de sa vie, voit dans son reflet quelque chose qui relève du mal ; il doit exorciser sa pathologie afin de prouver son existence aux yeux des autres, notamment sa famille, son image de mari et de père étant à reconstruire. Cela sent bon la morale conservatrice, avec un personnage qui doit lutter pour redevenir un patriarche respectable, mais Aja évite ce piège grâce à un excellent twist final pervers qui fait preuve d’originalité par sa mise en scène du reflet, tout comme les nombreuses séquences qui jouent sur le double et le renversement de situation. Elles métaphorisent intelligemment le monde psychique et parallèle dans lequel évoluent les protagonistes. L’auteur réussit à créer l’angoisse grâce à son dispositif qui entraîne des scènes d’épouvantes faites de faux semblants assez convaincants. Ce très bon faiseur et amoureux des films de genre tente ainsi de réaliser une œuvre originale en s’éloignant du modèle coréen. Malgré ces bonnes intentions, ce véritable geek peine à imposer sa personnalité : Mirrors semble symptomatique d’une grande frange du cinéma d’horreur actuel qui répète ses figures à l’infini sans vraiment se renouveler. Aja réussit toutefois à nous perdre dans nos acquis avec des images qui n’ont plus d’appartenance réel.
Le Français construit ses plans avec un rappel inconscient de son histoire cinéphilique, ce qui peut nous amener à parler de citations, voire même de réminiscences. Des œuvres telles que Simetierre, Poltergeist ou Shining semblent inspirer la plupart des séquences du long-métrage sans que l’on puisse parler de copie pure et simple, car le réalisateur a digéré ses références pour créer quelque chose qui a l’apparence de la nouveauté. Ce remix filmique est alors très contemporain par son caractère geek, à la manière des frères Wachowski ou de Tarantino, qui construisent leurs films sur des figures empruntées le plus souvent à la sous-culture américaine et asiatique. De nombreuses séquences de Mirrors rappellent ainsi l’une des légendes du jeu vidéo : Silent Hill 2. L’iconographie de ce chef d’œuvre vidéoludique habite le métrage, qui suit une trame identique, avec un monde parallèle, une maison hantée et des énigmes qui relèvent du survival horror pixélisé. Il faut noter que Silent Hill est elle-même une œuvre référentielle, qui doit beaucoup au cinéma d’épouvante des années 1970 et 1980. On en vient à l’idée que les films inspirent les jeux qui à leur tour influence le septième art, sans que l’on puisse déterminer la référence exacte. La vision de Kiefer Sutherland qui s’enfonce dans la pénombre avec une lampe torche à la main, ou qui affronte une sorte de boss finale identique à celui du jeu, pourrait ne laisser aucun doute, mais ces figures rappellent également de nombreuses séries B horrifiques. On se retrouve alors en pleine simulation. Selon Baudrillard, le simulacre, qui était d’abord reconnu comme une représentation du réel, s’est vu systématisé par l’avènement industriel, contribuant à brouiller les repères entre l’image et ce qu’elle représente, jusqu’à ce qu’il ne finisse par précéder et déterminer le réel. C’est l’essence même de Mirrors, qui se donne l’apparence d’une œuvre originale mais qui ne fait que croire en sa propre existence, car Aja substitue au réel des signes du réel. C’est en cela que ce long-métrage est intéressant, car il ouvre la voie à de nombreuses pistes de réflexion sur la reproduction et l’origine des figures filmiques ainsi que le difficile renouveau du cinéma d’horreur. Par cet aspect théorique, sa mise en scène efficace et la noirceur de sa conclusion, loin de la moralité habituelle des grosses machines américaines, Mirrors arrive alors à séduire.