À moins de se lancer dans la fosse aux lions du grand spectacle (comme le catch ou les déclinaisons de quelque ultimate fighting), la vie de lutteur n’est pas franchement sexy, nonobstant le maillot de bain une pièce très échancré et si seyant enfilé par ses praticiens. Mark Schultz (Channing Tatum) a porté haut les couleurs américaines aux JO de Los Angeles en 1984, mais manger ses céréales matinales en solitaire témoigne d’un quotidien pour le moins morne. Le destin frappe à sa porte : entiché de ce sport, John Du Pont (Steve Carrell) met à disposition ses deniers et le luxe extravagant de sa propriété. Bien frappé comme il faut, délirant sur les valeurs et la grandeur américaines, le milliardaire devient le coach de Mark. La perversité de la relation ne manque pas de pointer, ainsi qu’un lien trouble – l’absence d’intimité est rapidement annoncée par le coup des jumelles.
Dépersonnalisation, manipulation, ambiguïté amoureuse, assujettissement et dépendance mutuelle (on n’est pas si loin, à ce sujet, de The Master de Paul Thomas Anderson) deviennent les mamelles nourrissant le film jusqu’à une issue dont on ne doute pas de la dimension tragique – à connotation familiale : John mal aimé de sa vieille mère ; rivalité complexe entre Mark et son frérot. Voilà un cas intéressant de film zéro défaut dont on peine à dégager les qualités au-delà de ses… qualités presque trop évidentes. On appelle ça l’académisme, qui n’est pas forcément un vilain défaut, mais qui ne doit pas empêcher de sortir d’un rail ronronnant. On n’oublie pas pour autant comment Bennett Miller filme avec conviction et talent cet étrange sport, composant aussi une superbe bande son lors des joutes (bruits étouffés par le sol, frottement et contact des corps). La première d’entre elle est la plus remarquable ; mettant en présence les deux frères, elle commence par un art tout en noblesse et sensualité, dérivant peu à peu vers la tension puis l’expression d’une grande violence.