La 67e édition a donc rendu son verdict : les Dardenne (Deux jours, une nuit), Naomi Kawase (Still the Water) ou encore Abderrahmane Sissakho (Timbuktu) sont les principaux absents de cet intéressant panachage tricoté par le jury présidé par Jane Campion.
La principale surprise tient dans le Grand Prix attribué à Les Merveilles alors qu’Alice Rohrwacher faisait vraiment figure d’invitée surprise. Espérons que l’on y verra autre chose qu’une sorte de « Prix fémina » accordé gracieusement par une présidente de jury, car il s’agit d’un beau film qui propose un véritable parcours, qui s’ouvre au sensible tout en ne se montrant pas lisse. Dans le billet festivalier consacré à Winter Sleep, nous avions écrit que Nuri Bilge Ceylan réalisait là LE parangon du film à palme. Et ça a donc été le cas, assez logiquement, et cela dans le bon sens du terme pour un cinéaste qui ne se répète pas de film en film, qui cherche en ayant une véritable ambition pour son art. Les autres prix ne souffrent pas non plus d’illogisme ni ne font suite à des hallucinations collectives du jury. Le Prix du scénario attribué à Oleg Negin et Andreï Zviaguintsev pour Leviathan permet au passage de faire un cordial salut à Poutine ; le Prix de la mise en scène récompense Bennett Miller pour Foxcatcher, un film souffrant de rester trop sage, mais aux qualités évidentes. Si le Prix d’interprétation masculine (Timothy Spall pour Mr Turner de Mike Leigh) ne décille pas, son pendant féminin se révèle pétaradant : Julianne Moore dans Maps to the Stars de Cronenberg.
Le festival de Cannes est tout de même un endroit d’une grande étrangeté. Avant cette édition, on en était réduit à la réflexion que la présence d’Adieu au langage en compétition constituait une audace des sélectionneurs. Il fallait se reprendre pour se convaincre qu’il n’y avait rien de plus logique à ce qu’un film du plus grand réalisateur vivant y trouve sa place. Les suffrages (Prix du jury) ont réuni un jeune premier aux dents longues – qui avait préparé un discours bilingue – et le vieil absent : l’oracle JLG, dont les films sont énoncés depuis une sorte d’Olympe lacustre helvète d’où il ne descend plus, et nous emmène dans un ailleurs cinématographique furieusement dépaysant. Oui, ce prix ex-aequo avait un sens assez pesant, pour Xavier Dolan – et non pas le fait de réunir la jeunesse triomphante et le vieux sage, ce qui est un geste plutôt sympathique. Car quoi que l’on pense de Mommy (défendu dans nos colonnes) et du cinéaste québécois, cette cohabitation révèle un écart abyssal entre ce qu’est un faiseur et ce qu’est un créateur. Adieu l’inventeur, place au faiseur. Si ce n’est pas ce que l’on espère pour l’avenir du cinéma, c’est un peu ce que l’on craint.
Contrairement à d’autres années, de sélections en sections, on a été à peu près et plus ou moins nourri quotidiennement de quelque chose retenant l’œil. On a vu deux grands films à la Quinzaine des réalisateurs, ils sont signés Frederick Wiseman (National Gallery) et Isao Takahata (Le Conte de la princesse Kabuya) ; leur âge cumulé : 161 ans. Il y a certes eu, heureusement, des confirmations : Nadav Lapid (L’Institutrice, séance spéciale à la Semaine de la critique), Lisandro Alonso (Jauja concourait à Un Certain Regard), Jean-Charles Hue (Mange tes morts à la Quinzaine des réalisateurs). On en oublie, mais on se demande tout de même quelles sont les découvertes, les grandes, les vraies, de cinéastes qui s’apprêteraient à devenir des compagnons de route que l’on suivra fébrilement ? Où sont les inventeurs ? La question semble se perdre dans un écho qui mène dans un antre bordant un lac.