At Li Layla fait partie des nombreux films israéliens de cette édition cannoise et pas des moindres. Si L’Institutrice de Nadav Lapid semble avoir marqué les esprits, At Li Layla devrait le concurrencer comme le présage la standing ovation de dix minutes qui a suivi la première projection du film hier.
Chelli s’est toujours occupée de sa sœur Gaby, handicapée mentale, et pense être la seule à pouvoir le faire. Lorsque les services sociaux l’obligent à la placer dans un institut de jour, c’est à contre-cœur qu’elle le fait alors que sa vie sociale et amoureuse est depuis longtemps entre parenthèses. Zohar, professeur de gymnastique dans le lycée dans lequel Chelli travaille, entre alors dans sa vie, dans la leur. Car se faire une place entre les deux sœurs, entre la dépendance et l’amour puissant qu’elles entretiennent, n’est pas chose facile.
Monteur émérite (de Keren Yedaya notamment) et auteur de plusieurs courts métrages dont Death of Shula présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2007, Asaf Korman a réalisé son premier long métrage, « un film né de l’amour » dit-il. Car il s’est associé à Liron Ben-Shlush qui n’est rien d’autre que l’actrice de ses précédents films, sa coscénariste, sa femme et la mère de son enfant.
Il faut d’emblée saluer la performance de tous les acteurs qui portent le film, déjà servi par un beau scénario tout en finesse. Le canevas est simple, les relations entre les personnages ne le sont pas. Korman parvient parfaitement à dépeindre la dépendance mutuelle, presque incestueuse, qui s’est installée entre les deux sœurs dans un intense huis clos. Car si Gaby a besoin de Chelli pour se laver, s’habiller et se nourrir, Chelli a inconsciemment besoin de Gaby pour se sentir utile, pour se sentir vivre tout simplement. Elle exerce un tel contrôle sur la vie de sa sœur qu’elle ne parvient pas à la laisser ne serait-ce que dormir en paix, encore moins la laisser évoluer au sein de l’institut de jour dans lequel elle s’épanouit loin d’elle. Elle l’étouffe de son constant amour comme le témoignent les plans à répétition des deux sœurs dans le lit, enlacées comme deux amantes, ou leurs corps entremêlés dans le bain qu’elles prennent encore ensemble. Trop absorbée par ce quotidien, elle ne réussit pas à se laisser porter par l’amour de Zohar, bienveillant envers Gaby mais inquiet envers leur relation qu’il devine malsaine. Korman les filme au plus près de leur visage, évoluant dans cet étouffant deux-pièces, coincés dans des encadrements de porte et formant un trio des plus étranges dans une mise en scène parfaitement maîtrisée teintée de couleurs fades dans lesquelles émergent les T-shirts colorés de Zohar, venu les secourir. En vain.
Une sourde violence mêlée à beaucoup d’humanité émanent de ce portrait émouvant de l’ambivalence de l’amour familial et du sacrifice impliqué dans le dévouement de toute une vie.