Pour son premier film, la jeune Marianne Tardieu investit l’espace d’une cité où Chérif (Reda Kateb) vit encore chez ses parents passé trente ans et travaille comme agent de sécurité dans un centre commercial, en attendant les résultats du concours d’infirmier. À travers ce personnage plein d’espoir, Qui vive tente de dialectiser cet espace d’exiguïté existentielle où il est difficile de se départir de la place à laquelle les uns assignent les autres. Ainsi, Chérif demeure le pion bon camarade, un peu gamin, pour les élèves d’une école où il a travaillé, le garçon des cités un peu loser pour le jury du concours d’infirmier, alors que, dans le même temps, les jeunes de la cité le renvoie progressivement à la place de « boloss » qui veut s’en sortir. Peut-il inverser le sens de ces regards sur lui ? C’est tout le dilemme du film, social dans un premier temps mais qui devient moral lorsque Chérif tente d’arranger son sort en forçant le destin.
Le film se place alors du côté du fait divers : un ami d’enfance aux activités louches (Rashid Debbouze, vu dans La Désintégration de Philippe Faucon), doué d’un certain bagout, qui ne joue pas au bon samaritain sans contrepartie, protège Chérif de jeunes qui en ont fait leur tête de turc au centre commercial. Pour pouvoir vivre une vie plus stable depuis sa rencontre avec Jenny (Adèle Exarchopoulos), la jeune pionne qui le remplace à l’école, Chérif fragilise tout sur un pari, celui d’acheter la loyauté de son ami en lui refourguant une combine au centre commercial. Le récit trouve ainsi un moyen de s’emballer dans le drame et de poser l’ambiguïté morale de la quête de Chérif à la fois libératoire mais aussi individuelle aux yeux de la communauté confinée que représente la cité.
Pour ce premier essai, outre la dramaturgie de la cité, notamment autour de la question du regard, c’est par le casting que le film se distingue. Reda Kateb trouve ici un premier rôle qui déploie enfin son jeu naturaliste, précis dans les gestes du quotidien comme dans l’expression de sentiments très ténus. Le travail affiné de ses expressions donne au personnage de Chérif une ambiguïté intéressante – la force du film tient même en grande partie dans les reliefs mouvants de son visage et la modulation de son port. Face à lui, Adèle Exarchopoulos, dans son premier rôle post-Vie d’Adèle, confirme que, dans un rôle aussi étroit que celui de la fiancée du héros, jolie et originale, sa présence déborde et intensifie tout sur son passage. Dans un plan-médaillon, elle révèle une grâce prolétaire aujourd’hui trop rare, déjà au cœur du film de Kechiche et sur laquelle le film s’appuie entièrement. Dommage que cette romance donne cependant le sentiment qu’elle reprend l’histoire vécue auprès de son collègue de la maternelle dans La Vie d’Adèle, avortée par la jalousie de son amoureuse Emma. Si le film ne dévie pas d’une esthétique naturaliste, prépondérante dans le cinéma français, sa tentative de lyrisme, notamment à partir d’une ritournelle électro pop qui court à travers le film et composée par Sayem, en pointe justement toute la limite d’image fonctionnelle à l’égard d’un récit et d’une conformation au « réel » toujours aussi hégémoniques sur toute création.