L’année dernière, Mathieu Amalric, alors président du jury du Festival International du Court Métrage de Clermont-Ferrand, provoquait un tollé en refusant d’attribuer le Grand Prix pour la sélection française, estimant que celle-ci regorgeait d’œuvres sans originalité et sans audace formelle. Les films français primés en 2005 et sélectionnés par la SACD lors d’une projection exceptionnelle au Cinéma des Cinéastes (Paris 17ème) prouvent malheureusement que le festival poursuit son déclin, exception faite des courts-métrages d’animation.
Perplexité. C’est le sentiment que l’on ressent à l’issue de la projection de trois films primés : Disparu (Frédéric Weigel), La Femme seule (Brahim Fritah) et La Peur, petit chasseur (Laurent Achard). Perplexité car le choix de sujets sociologiques lourds (les SDF, l’esclavagisme moderne, la violence familiale) soulignent sans détour les nombreuses faiblesses d’une mise en scène qui, au pire, se détourne du cinéma, au mieux, passe complètement à côté de son propos.
Disparu, prix SACD de la première œuvre de fiction d’expression française, est un projet de fin d’études et on ne voit que cela. Frédéric Weigel y dresse le portrait de Laura, 25 ans, bouleversée d’apprendre que son père mourant, disparu depuis plusieurs années, était en fait sans domicile fixe. Bien décidée à comprendre l’existence bohème de ce père qu’elle ne croyait plus aimer, la jeune femme part à la rencontre de ceux qui l’ont entouré, et ose enfin se rebeller en disant merde autant à maman très chère qu’à son petit ami dont la seule préoccupation existentielle est de savoir si elle prend la pilule.
Entre (très) mauvais sitcom AB et film amateur tourné entre potes du sixième arrondissement parisien, Disparu est un ovni, une œuvre inclassable, atypique car seule capable de provoquer le fou rire sur un sujet aussi grave. Des dialogues probablement écrits à l’aide d’un manuel de psychologie au montage qui multiplie les faux raccords et les ellipses maladroites, rien n’est en mesure de relever la médiocrité des plans et de la direction d’acteur, assez consternante. Et pour parfaire le tout, le jeune Frédéric Weigel a choisi un noir et blanc au gros grain somme toute assez laid pour mieux définir cette morosité ambiante que sa mise en scène n’est pas à même de pouvoir définir.
La Femme seule, Prix spécial du jury, est un documentaire en forme de témoignage sur le calvaire de Akosse Legba, Togolaise récemment victime d’esclavagisme moderne sur le territoire français. De la jeune femme, dont le visage n’est révélé que lors des toutes dernières minutes du film, nous ne connaîtrons avant tout que la voix et les contours du corps. Le réalisateur, certainement dans un souci de pudeur, a choisi de filmer les espaces vides d’un appartement vidé de toute présence. Mais la froideur des plans tout en lignes de fuite et les raccourcis visuels parfois discutables (les pieds d’une chaise ou un radiateur d’appartement rappellent la forêt tropicale et les percutions lointaines) sont autant de points par lesquels le réalisateur, Brahim Fritah, s’éloigne de ce sujet délicat.
Limité au témoignage décousu de la jeune immigrée, le film ne formule aucune question pertinente en n’exploitant que l’aspect pathétique de cette condition. Plutôt que de s’interroger sur les raisons d’une telle dérive et de faire de ce projet une allégorie passionnante sur les rapports nord-sud, La Femme seule est une illustration dépourvue du moindre relief quand bien même le sujet aurait exigé une approche pertinente et incisive.
La Peur, petit chasseur, Grand Prix et Prix de la presse, est probablement l’un des courts-métrages les moins coûteux de toute l’Histoire du cinéma. À la campagne, un petit garçon s’ennuie, appelle sa mère restée dans la maison. Elle sort un temps, pour étendre le linge, mais le retour du père violent, en hors-champ, l’oblige à rentrer précipitamment. Le petit garçon, resté à l’extérieur, entend, impuissant, les cris de sa mère, puis se rassoit, silencieux. En un seul plan fixe de huit minutes trente, Laurent Achard s’attaque à un sujet tout aussi délicat que les deux précédents, à savoir la violence conjugale et les traumatismes vécus par les enfants, souvent témoins.
Or, lui aussi ne pose aucune question pertinente. En plaçant sa caméra au fond du jardin, adoptant le point de vue de l’enfant, le réalisateur pense suggérer l’horreur de ce quotidien morne qui, forcément, n’existe que dans les maisons grises des milieux les moins favorisés. Le choix discutable d’une certaine distanciation démontre, une fois de plus, que ces apprentis réalisateurs ne sont pas en mesure de se mettre à hauteur de leur sujet, transformant leur ambition en prétention malvenue.
Signe d’appartenance, Prix du public et Lion d’argent du meilleur court-métrage à Venise 2004, souffre d’un certain déséquilibre formel mais s’offre un luxe que beaucoup d’autres courts pourraient lui envier : l’humilité. En abordant le problème, également douloureux, de la circoncision, le réalisateur tunisien Kamel Cherif a choisi le ton de la comédie pour humaniser son propos, privilégiant systématiquement l’absurde et le rocambolesque.
À travers l’histoire d’Ali, jeune garçon qui fugue au moment même de son opération, le film s’interroge, non moins sans une certaine amertume déguisée, sur les traditions ancestrales de la culture musulmane, mais aussi sur les difficultés que rencontrent les immigrés lors de leur intégration dans un pays étranger. Cette œuvre, aussi légère semble-t-elle, a fait l’objet d’une répression extrêmement féroce en Tunisie où l’équipe du film a subi toutes sortes de violences incompréhensibles – la sœur du réalisateur est par ailleurs décédée des suites de ses brûlures – alors que ce court-métrage, qui rencontre un vif succès dans la majeure partie des festivals, n’a pas de vocation pamphlétaire particulière.
Les deux courts-métrages d’animation, quant à eux, se démarquent totalement de cette tendance sociologisante et témoignent d’une très belle inventivité. Signes de vie d’Arnaud Demuynk, Prix SACD du meilleur film d’animation, est l’histoire d’une jeune femme marquée par le deuil qui décide de se jeter du haut d’une falaise. Plutôt que d’exploiter maladroitement le pathétique de la situation, Arnaud Demuynk orchestre une série de saynètes toutes plus travaillées les unes que les autres. En travaillant sur les contrastes de lumières, sur les couleurs aux tons pastel, le réalisateur semble diluer cette tragédie somme toute assez classique dans un espace temps indéfini, impalpable.
La grande poésie qui se dégage de ce court remarqué au denier festival de Cannes témoigne justement de l’effervescence créatrice qui habite aujourd’hui le domaine de l’animation. L’œuvre d’Arthur de Pins, La Révolution des crabes, Mention spéciale du jury national, n’en est que la grande confirmation. En peignant le quotidien des Pachygrapsus Marmoratus, plus communément appelés « crabes dépressifs », ce très court chef d’œuvre doté d’un humour féroce offre une magnifique allégorie sur la condition de l’homme mouton incapable de dévier de sa trajectoire initiale.