Teen-comédie de la rentrée, Be Bad ! était autant attendu pour découvrir la suite de la carrière du jeune Michael Cera que pour les promesses de son titre frondeur. Or si le talent de l’acteur de SuperGrave se confirme une nouvelle fois, l’ensemble du film manque de folie et affiche trop de concessions pour une comédie censée s’extirper des canons du genre.
De son intitulé original (Youth in Revolt), le dernier film de Miguel Arteta n’a peut-être rien perdu au change de sa traduction. Car de rébellion adolescente dont on pouvait penser qu’elle dialoguerait avec une frange subversive de la teen-comédie, il n’en est pas vraiment question ici. Autre époque et nouveaux horizons, la jeunesse ici incarnée par Michael Cera déborde d’une révolte dénaturée, dont les motivations sont d’ordre privées, amoureuses. Nick Twisp est un jeune romantique, une progéniture vierge chahutée par ses émois adolescents et transportée d’un foyer à l’autre de ses parents divorcés. De l’inexpérience sexuelle qui travaille ses dessous (l’ouverture dévoilant une secrète activité onaniste) autant que son esprit bourgeonnant (la voix off confessant de manière érudite son identité de puceau), on comprendra rapidement que Nick vogue en plein âge ingrat. Mais au lieu d’être un ado décérébré, Nick fait preuve, comme bon nombre de figures de la teen-comédie (Ghost World, Juno), d’une conscience aiguë du malaise qui le traverse. Ses confessions en font le bonimenteur d’un environnement familial pour le moins désastreux (« N’y a‑t-il aucune limite au sadisme parental ? » confiera t‑il). Vif esprit coincé dans un corps malhabile, Nick va alors être confronté à une réalité essentielle, sa rencontre avec Sheeni Saunders, belle pousse et rai de lumière bouleversant ses pitoyables vacances. Il va alors devoir se débattre avec sa maladresse congénitale, obéir aux caprices de la demoiselle et remuer ciel et terre afin de la conquérir durablement.
Tiré d’un livre chapitré en plusieurs sketchs, Be Bad ! est quelque part lui aussi segmentée en une dizaine d’épisodes qui multiplie les espaces tout en s’enrichissant de nouveaux personnages. Fil conducteur du film, Michael Cera y naviguera aux côtés de sa mère et deux de ses nouveaux amants d’une splendide stupidité (dont le contre-employé Ray Liotta), du fameux aparté estival et d’une majeure partie où il sera question de fuir la police suite à un désastreux accident. La portée méchante du titre repose sur les supplications de Sheeni exigeant de Nick un comportement de rebelle qu’elle fantasme en exemple des tribulations détachées de Michel Poiccard dans À bout de souffle. Demandant la lune à un Nick aussi confiant qu’un ado mirant ses chaussures toute une soirée durant, la fille adopte ces airs de garce expérimentée. Nick se dédouble alors en l’incarnation de ses rêves…
Et le réalisateur de pallier ce grand écart schizophrénique en usant d’un vieux procédé de dessin animé matérialisé par la lutte de l’ange et du démon. Ainsi, l’on suit deux incarnations de Nick se côtoyer, s’affronter selon l’antagonisme pure timidité/violence insouciante. Même si le truc s’inscrit dans le genre comique et qu’il est quelque part savoureux d’observer les mimiques d’un Cera (renommé François) adoptant une désinvolture latine (avec moustaches et clopes au bec), le jeu du double n’implique jamais de trouvailles visuelles et demeure un effet finalement assez convenu. Loin de susciter l’intérêt, le procédé sera rapidement écarté et oublié lors de la course en avant de Nick vers le collège français où est enfermée sa belle. L’enjeu central se retrouve alors un peu perturbé et le film de se rattraper par des gags liés à de folles péripéties et l’apport de personnages secondaires, plus ou moins farfelues. La mise en scène un peu plate, laissant à l’acteur le soin de porter Be Bad ! sur ses frêles épaules, demeure alors étouffée par son large casting et ne sort de ses gonds que pour dessiner de gentillettes parenthèses animées et s’autoriser d’inoffensives projections mentales à teneur sexuelle.
Loin des ping-pongs verbaux qui s’échangent chez Judd Apatow, Be Bad ! ne se caractérise donc pas par de délirantes tranches de folie (peut-être son final…) puisqu’il lui préfère la carte d’un en-dedans romantique quelque peu acidulé. Son principal défaut tient sans doute à son refus d’assumer une impertinence crasse et de rester sans grand débordement dans le sillon d’un genre qui devrait davantage se prêter à une désobéissance morale et formelle. Et c’est sans grand risque qu’il nous transportera loin d’une frondeuse méchanceté sur les rails d’une teen-comédie qui obéit docilement à ses passages obligés comme un mauvais élève qui n’en aurait que l’apparence.
Simplement, Be Bad ! laisse plus qu’entrevoir une veine burlesque au travers une physionomie et désormais figure dont on est encore (répétons-le) loin de se lasser. À ne plus vraiment considérer comme un nouveau venu, Michael Cera (Une nuit à New York, L’An 1 : des débuts difficiles pour les moins connus) exerce un point de fixation (de fascination) qui fait de Be Bad ! son intérêt principal. Épi de blé qui transporte un mal-être gauche, lointain parent d’un Woody Allen moins verbeux, ce longiligne corps toujours aux prises avec son environnement, transporte un malaise, un embarras fabuleux qui s’exerce par un art de l’effacement, un minimalisme rentré. Son corps qui refuse le surrégime de l’agitation, semble comme boulonné, incapable de se mouvoir tant le monde alentour parait hostile, ses obstacles insurmontables. Et la mise en marche de ce corps, lorsque les événements jouent en sa défaveur, produit alors cette incarnation burlesque par laquelle les membres ne s’incurvent jamais naturellement, obéissent à une droiture, un retard à l’allumage. Sa figure qui fait penser à une espèce d’écureuil trop frileux pour pointer son nez dehors, joue constamment d’une subtile plastique de gimmicks. Les vents de panique, la fébrilité des natures que ce visage affronte et incarne, se dessine toujours selon un mouvement qui, d’une confrontation à l’autre, doit retrouver son centre, le moi privé de son effacement. Coquille recroquevillée sur elle-même, les regards lancés vers l’altérité obéissent finalement à une difficulté d’ouverture, une terrible maladresse qui parviennent à exprimer un trouble tout intérieur. Et c’est toute la force de Michael Cera de parvenir à animer, en quelques traits, une figure d’adolescent trop effrayé pour crier, trop gauche pour se détendre, trop brillant pour se caricaturer.