C’est quoi la comédie romantique américaine, aujourd’hui ? Presque vingt ans après le définitif Quand Harry rencontre Sally, petit bijou qui semble se bonifier d’année en année, Hollywood hésite entre le rose-bonbon le plus mièvre (Love Actually, Le Come-Back, The Holiday) et la love-story trash (de Mary à tout prix à Serial noceurs, 40 ans, toujours puceau ou En cloque, mode d’emploi). Au milieu, point de salut : en attendant les aventures cinématographiques des filles de Sex & The City, les seules à avoir véritablement su allier glamour et humour, idéal romantique et discours post-féministe, cœur et cul avec un irrésistible entrain, on peut toujours se laisser aller au charme old school de ce 27 robes qu’on a l’impression d’avoir déjà vu vingt-sept fois (voire plus), qui compile les poncifs du genre avec une vigueur qui force l’admiration.
Sarah Jessica Parker (et son alter ego Carrie Bradshaw) ayant passé la quarantaine, la nouvelle héroïne romantique préférée des Américains aujourd’hui, c’est elle : Katherine Heigl, trente ans tout rond, docteur passionnée aux amours contrariées et tragiques dans la série à succès Grey’s Anatomy et jeune journaliste malencontreusement enceinte d’un loser dans En cloque, mode d’emploi, gros carton au box-office américain l’été dernier. Soit un concentré de belle plante américaine ayant d’ores et déjà trusté les champs de la bluette télévisée et de la comédie pour grands ados, et qui tente sa chance auprès d’un public nettement plus féminin avec 27 robes, conte de fées en forme de compilation des passages obligés du genre. Le succès du film aux États-Unis impose la demoiselle en Meg Ryan du nouveau millénaire : souhaitons-lui toutefois une carrière plus diversifiée et moins botoxée.
Ceci étant posé, la ravissante comédienne est plus ou moins le principal intérêt du film. Son abattage, son timing impeccable dans le débit mitraillette imposé par un scénario très (trop ?) bavard en font une attraction comique à elle toute seule : elle est drôle, elle est jolie, elle cherche le grand amour, on va en avoir pour notre argent. Et c’est bien là tout le problème : l’intrigue est cousue de fil blanc, cherchant par tous les moyens à répondre aux standards d’un genre que l’on aime précisément pour ses stéréotypes mais qui ne peut devenir inoubliable qu’en parvenant à les réinventer, les retourner comme une crêpe, les malmener avec un délice un brin pervers. Or, ici, point de perversité : au centre du film trône ce thème intouchable parmi tous, le mariage, saine institution qui fait encore rêver les petites filles et bon nombre de femmes, même celles à qui on ne la fait pas.
Les vingt-sept robes du titre, ce sont celles que Jane (Heigl) a portées à tous les mariages auxquels elle a servi en tant que demoiselle d’honneur. Désespérément amoureuse de son patron, qui ne voit en elle qu’une adorable et indispensable assistante, la jeune femme cumule les cérémonies avec une efficacité très professionnelle. À tel point qu’elle suscite l’intérêt d’un jeune journaliste blasé (James Marsden) qui voit en elle un sujet en or pour son prochain papier. Les deux mettent tant d’application à se détester qu’on devine aisément l’issue de leurs joutes verbales (lit, mariage) mais entre-temps, Jane a d’autres chats à fouetter : sa sœur, blonde capricieuse, a mis le grappin sur le boss adoré et celui-ci l’a demandée en mariage. Au grand dam de Jane, qui est en outre chargée d’organiser les festivités.
Anne Fletcher, la réalisatrice, ne nous épargne rien : ni les plans sur Manhattan, ni les enfilages de robes sur fond de pop énergique, ni le passage « comédie musicale » (c’est « Bennie and the Jets » d’Elton John qui s’y colle), ni la meilleure copine qui hérite des meilleures répliques… Le chemin est ultra-balisé, et malgré la meilleure volonté du monde, impossible de ne pas rester pantois face à la spectaculaire capacité de la cinéaste à tourner le dos à dix années de révolution culturelle : c’est comme si Ally McBeal, Sex & the City et autres Desperate Housewives, avec leurs héroïnes au franc-parler et franc-baiser, n’avaient jamais existé. Des séries télévisées où les parties de galipette n’empêchent pas les unions en blanc et à l’église… Mais Anne Fletcher rêve d’un monde révolu, qui n’a d’ailleurs même jamais existé. Rappelons-lui tout de même qu’en 1990, Julia Roberts réinventait Cendrillon dans Pretty Woman… sous les traits d’une pute. Décidément, les contes de fées ont la vie dure.