Sommes-nous tous des psychopathes en puissance ? Voilà la question que pose la nouvelle comédie noire de Martin McDonagh après Bons baisers de Bruges, qui mettait en scène les déboires d’un tueur à gages dépressif et de son comparse, chargé de l’éliminer. Déjà, en Belgique, les personnages n’étaient pas tout à fait ce qu’ils semblaient être, et révélaient des facettes inattendues. C’est à Los Angeles et son proche désert que Marty, scénariste en mal d’inspiration, tente de finir une histoire dont il n’a pour l’instant que le titre : 7 Psychopathes. Alors qu’il n’aspire qu’à la paix et l’amour, il s’est engagé sur un sujet aux antipodes de ses préoccupations. Sa recherche désespérée de psychopathes fictifs le conduit à en rencontrer plusieurs spécimens dans sa vie ordinairement tranquille.
Comme pour les samouraïs ou les mercenaires, il s’agit ici de recruter sept psychopathes afin de mener le récit à son terme. Ces protagonistes n’ont pas d’autre mission que de remplir l’histoire écrite par le scénariste Marty, qui a pour projet ambigu de créer des personnages de fous de violence tout en prônant la paix et la rédemption. Mafieux, pasteurs vengeurs, victimes en rébellion contre le mal, les dangereux criminels gagnent tous une forme de respectabilité au cours de leur récit, au point de renverser le prisme des valeurs, et de faire passer les personnages rangés pour des psychopathes eux-mêmes. Comme dans Bons baisers, les hommes violents, fous amoureux de leur femme ou ne pouvant vivre sans leur petit chien, sont aussi de grands dépressifs, proches de la sensiblerie. Si le film se balade des quartiers résidentiels chics de Los Angeles à des zones urbaines plus clairsemées en passant par une escapade dans le désert, le casting des fous dangereux se fait moins dans l’espace, comme dans les modèles du genre, que dans l’imagination du scénariste. Face à son déficit d’inspiration, ce dernier n’hésite pas à s’approprier les histoires glanées dans la presse ou racontées par son meilleur ami, Billy, acteur irascible. Construit autour de la difficulté de Marty à concevoir son histoire – perturbé qu’il est par son penchant pour l’alcool et les événements survenant dans sa vie privée, le film se soumet à cette panne d’inspiration et se répète, revient en arrière, met en question son déroulement ou le caractère judicieux de ses composantes.
C’est dans la mise en abyme que réside en effet la force comique du scénario dont la structure éclatée fait cohabiter les séquences vécues par le héros et les scènes qu’il imagine au point que les personnages de psychopathes surgissent dans sa vie, et se mettent également à intervenir dans la construction de son scénario. Ainsi, alors que le meilleur ami Billy appelle de ses vœux un final ultra violent dans le désert à la manière d’un western, la préférence de Marty pour boucler le scénario irait plutôt à une longue discussion entre hommes dans l’immensité du décor de l’Ouest américain. McDonagh choisit bien entendu de nous livrer les deux fins, en s’offrant même une variante du duel. La drôlerie du film passe très largement par cette construction qui s’amuse à faire balbutier le récit et à jouer sur la cohabitation des ambiances, des genres et des décors. Ce film de mecs n’hésite pas non plus à intégrer son autocritique. Les femmes, épouses modèles, petites amies hystériques ou bimbos décoratives sont toutes des stéréotypes, ce que déplore Hans (Christopher Walken), au point d’imaginer que la prostituée, dont le rôle était initialement cantonné à un défilé en petite tenue, convainc un kamikaze vietnamien de renoncer à ses funestes projets grâce à sa connaissance de sa langue, étudiée à Harvard. Faisant la part belle aux seconds rôles (parmi lesquels défilent Tom Waits, Harry Dean Stanton, Michael Pitt) et jonglant entre scènes de guerre, évocation du film de mafia et western, 7 Psychopathes traduit un goût immodéré et communicatif du cinéma.